Interview Marc Dubuisson
Interview de Marc Dubuisson
Auteur de La Nostalgie de Dieu et Le Complexe de Dieu
La Nostalgie de Dieu
© Marc Dubuisson / Diantre |
Titre : La Nostalgie de Dieu Scénariste : Marc Dubuisson Dessinateur : Marc Dubuisson Editeur : Diantre Date d'édition : Janvier 2009 |
PITCH DE L'EDITEUR Il est évident que tout ceci n’est que pure fiction sans quoi Dieu existerait. Qu’on se le dise, Dieu est humour ! Ces dialogues entre un suicidaire et le tout puissant himself en sont la preuve. Face à un Dieu sarcastique, j’m’enfoutiste, et impitoyablement lucide, notre héros est confronté à ses angoisses existentielles, à ses doutes et à de nombreux tabous Détournement de dogmes, satire du clergé, critique acerbe de l’extrémisme… l’auteur, responsable du blog « Un pied, le dessinateur qui ne sait pas dessiner », crucifie la religion et ses dérives dans cette série prévue en plusieurs tomes. Au nom du libre arbitre, du rire et de l’impertinence, que l’impiété soit éditée ! Amen !
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D'où vient l'idée de faire une BD sur Dieu ?
Les raisons sont multiples. Les débats sur la/les religion/s auxquels je pouvais assister à la télévision ou dans la presse ne me satisfaisaient pas, je n’y trouvais pas ma vision de la problématique. En guise d’exutoire, j’ai eu envie d’écrire au départ une espèce d’interview de Dieu. Comme je ne pensais pas encore au format BD, je voyais ça en livre mais n’arrivant pas à trouver la meilleure façon de traiter l’histoire, j’ai laissé l’idée dans un coin de ma tête. Quelques mois plus tard éclatait l’affaire des caricatures de Mahomet et la fameuse Une de Charlie Hebdo. Le besoin d’écrire sur ce sujet devint alors de plus en plus pressant. Entre-temps, je me suis mis au blog BD. C’étaient les tout débuts. Jusqu’au jour où un matin, les premiers dialogues me sont venus en tête et le reste a suivi vite et naturellement. Dans ce projet, j’avais surtout envie de montrer qu’il fallait faire une vraie distinction entre la religion en tant qu’institution et la foi. |
La Nostalgie de Dieu - Diantre Editions ! 2010 |
Le Dieu que vous représentez est cynique, indifférent au sort de l’homme, misogyne, amoral, presque diabolique en somme. Pourquoi avez-vous voulu présenter ce Dieu là ?
Je suis athée de conviction mais agnostique par honnêteté intellectuelle. Notre société étant profondément marquée par la culture chrétienne, j’ai forcément été amené à m’imaginer comment pourrait être Dieu. Allez savoir pourquoi, ma vision de Dieu, s’il existe, est celle-là. Mon sentiment est que s’il existe un Dieu, pour que l’Humanité soit comme elle est (et j’avoue avoir une vision assez pessimiste de la nature humaine), cela ne peut être que la conséquence d’un Dieu qui aurait renoncé, qui n’assumerait pas ses délires mégalo de jeunesse et qui n’ose plus essayer de reprendre la main tant il a peur de faire pire. Le côté misanthrope du Dieu que j’ai imaginé est simplement un système de défense face à des erreurs qu’il n’assume pas. S’il est assez bourru en apparence, il n’est pas aussi je-m’en-foutiste qu’il aimerait le faire croire. Et puis, tous ces sentiments le rendent finalement très humain, ce qui me parait logique puisqu’il aurait créé l’Homme à son image…
Vous abordez à plusieurs reprises les dérives de la religion et la tendance de l’homme à fuir son libre arbitre sous prétexte de religion autoritaire ou d’inconscient coupable : avez-vous souhaité faire une critique de la société à travers vos personnages ?
Une critique du dogmatisme et de l’aliénation que peuvent engendrer les religions et une analyse de la société sous le couvert de l’humour. Même si les avis de Dieu sont assez tranchés, le contrepoids existe malgré tout tour à tour par le suicidaire puis par le psy, qui, sans trop en avoir l’air, relativisent le tout. Ce qui me gène dans les religions, c’est que c’est souvent blanc ou noir. Les deux livres sont noir et blanc sur la forme mais gris sur le fond.
Dans les deux ouvrages, vous inversez les relations traditionnelles entre Dieu et sa créature : c’est l’homme qui abandonne Dieu et Dieu qui ne croit plus en l’homme, c’est Dieu qui a besoin de l’homme, et l’homme, sous les traits d’un psychologue, qui se fait juge de Dieu : avez-vous eu le sentiment de risquer de choquer ?
Le complexe de Dieu - Marc Dubuisson - Diantre ! Editions 2010 |
Je n’ai eu ni la peur, ni la volonté de choquer, au contraire. Face au retour des fondamentalismes religieux, j’avais avant tout envie de relativiser tout ça et d’amener du recul avec une vision un peu décalée. Comme je l’ai dit plus haut, si mes livres critiquent la religion, ils respectent en revanche la foi. Ce que j’ai voulu montrer dans ce livre, c’est que Dieu ou pas Dieu, iln’y a aucune raison qui justifie de restreindre le libre-arbitre de qui que ce soit ou de l’empêcher d’avancer dans son épanouissement personnel. La foi permet à énormément de gens d’avancer en leur donnant du courage, de l’espoir, un but. Mais tout le côté « folklorique » des religions m’exaspère. Je ne crois ni en Dieu ni en Allah mais cela ne m’empêche pas d’essayer de respecter les autres, de ne pas faire de mal et de filer un ticket resto quand je croise un sdf. Ce qui serait choquant, je trouve, c’est que s’il s’avérait qu’un Dieu existe, celui-ci refoule un mec à l’entrée du paradis parce qu’il ne lui a pas voué un culte alors qu’il aurait mené une existence de respect et d’honnêteté et à côté de ça, d’accueillir un bigot qui a fait les pires saloperies en son nom. En gros, le message c’est que quelles que soient nos convictions, il faut vivre ensemble sans se foutre sur la gueule. |
Vous avez choisi de ne jamais dessiner les traits de Dieu : est-ce par soumission à la tradition religieuse ou pour laisser au lecteur la possibilité de croire que ces dialogues avec Dieu ne furent que le fruit de la solitude et de la folie de vos personnages ?
Le principe est justement que chacun comprenne l’absence de l’incarnation de Dieu comme il le souhaite. J’aime bien l’idée que chacun s’imagine son propre Dieu. Cela rend l’expérience bien plus personnelle et intéressante. Et puis, finalement, qui suis-je pour dire à quoi il pourrait ressembler ?
Le Dieu du tome 1, puissant, cynique et arrogant s’adresse à l’homme depuis les cieux. Dans le tome 2, déchu et fragile, il atterrit, tel un homme malade, dans le fauteuil d’un cabinet de psy. Quid du tome 3 : va-t-il descendre encore plus bas, en enfer ?
Au départ, je n’ai pas prévu de tome 3. J’ai déjà écrit quelques tentatives mais je n’en suis pas satisfait. Qui sait ?
Avez-vous évolué dans votre perception de Dieu ou de la religion en écrivant La Nostalgie de Dieu et Le Complexe de Dieu ?
Comme tout un chacun mettant ses pensées par écrit, j’ai structuré mon raisonnement, je l’ai affiné. De plus, cela m’a permis d’en discuter avec des lecteurs, lors de dédicaces par exemple. J’ai aussi pu rencontrer des lycéens, certains venant de lycées privés ultra-catholiques. Ca m’a permis de confronter mon point de vue à ceux d’autres personnes. C’est toujours enrichissant. Néanmoins, si ma vision s’est affinée, elle n’a pas subi de changement majeur.
Qu’avez-vous pensé de l’adaptation théâtrale de La Nostalgie de Dieu mise en scène à la Comédie Contrescarpe ?
Je l’adore même si forcément elle ne reflète qu’un aspect du livre, la vision de la metteure en scène. Celle-ci a d’ailleurs choisi de faire incarner Dieu par un comédien, ce qui change pas mal de chose sur les différentes possibilités de compréhension mais qui finalement ne change pas grand-chose au débat. J’ai assisté à deux représentations et j’ai beaucoup ri, ce qui est toujours un peu gênant quand il s’agit de ses propres vannes…
Vous avez commencé par le blog puis avez évolué vers le livre : j’imagine que le travail, le plaisir, la relation avec les lecteurs sont très différents. Que préférez-vous ? Allez-vous continuer à travailler sur les blogs ? Est-ce nécessaire aujourd’hui ?
On est clairement plus libre pour un blog, c’est logique. Le problème des livres, c’est que vous avez tendance à arrondir les angles pour plaire un maximum aux potentiels éditeurs. De plus, la recherche d’un éditeur est pénible car elle vous amène à vous remettre sans cesse en question. En revanche, même si le blog est agréable dans ses facilités de publication et son retour immédiat, cela reste un moyen énergivore, chronophage sans contrepartie financière. Même si on crée pour le plaisir et l’envie de partager, on n’en reste pas moins dans un monde où on a besoin d’argent, ce qui limite – pour la plupart des auteurs – la création. Le blog reste avant tout un bon moyen pour se faire connaitre mais n’est pas viable sur le long terme pour de gros projets. Il suffit de voir le nombre considérable de blogs qui existent et les 5 noms qui tournent en boucle quand on parle des blogs BD.
Vos projets, vos envies ?
Des projets et des envies, j’en ai 5 par jour mais il faut que je restreigne un peu tout ça pour me concentrer sur 2 ou 3 projets maximum. Et puis, tout ça reste tributaire des éditeurs.
La BD dont vous auriez aimé être l’auteur ?
Calvin & Hobbes. Graphiquement génial tout en restant simple, humour fin et universel et surtout, cette BD a permis à son auteur de vivre de sa passion tout en restant fidèle à ses principes. Il y a d’autres BD dont j’admire le trait ou l’histoire mais l’œuvre de Watterson représente pour moi la carrière idéale.
Propos recueillis en Novembre 2011
Adaptation de La Nostalgie de Dieu à La Comédie Contrescarpe