BD Reportage - Joe Sacco et Cabu

 

La bande dessinée reportage

Joe Sacco & Cabu


 

Suite du périple en compagnie de deux globe-croqueurs qui imposent petit à petit la BD comme un nouveau médium incontournable du journalisme : Joe Sacco et Cabu.

 

 

Reportages - Joe Sacco

 

© Joe Sacco . Futuropolis

Titre : Reportages

Scénariste : Joe Sacco

Dessinateur : Joe Sacco

Editeur : Futuropolis

Date d'édition : 4 novembre 2011

 

PITCH DE L'EDITEUR

Ce livre rassemble la plupart des reportages que Joe Sacco a réalisé au fil des années pour des magazines, des journaux et des ouvrages collectifs. En une douzaine de récits (en couleur et en noir et blanc), le chef de file de la bande dessinée de reportage revient sur ce qui l’a conduit à choisir cette voie artistique et intellectuelle. Une authentique leçon pour tous ceux qui doutent encore de la légitimité de cet exercice
En parallèle de ses livres documentaires, Joe Sacco travaille régulièrement pour la presse nternationale. Reportages est le premier recueil de ses différents articles. Il nous conduit en Irak, auprès des soldats américains et Irakiens, en Palestine, au tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie de la Haye pour le procès d’un docteur Serbe accusé de génocide, et pour des récits plus longs, auprès des immigrés clandestins débarquant sur l’île de Malte, des intouchables en Inde, et des réfugiés Tchétchènes en Ingouchie. Ce livre est aussi pour Joe Sacco l’occasion de revenir sur son travail, d’expliquer ses méthodes d’investigation, et de replacer la bande dessinée reportage dans le contexte journalistique. Plus qu’une bande dessinée, Reportages est le reflet de notre monde après la première décennie du XXIe siècle.

 

Figure emblématique du reportage graphique, Joe Sacco est sans doute le plus engagé des BD-reporters. L’édition de Reportages par Futuropolis constitue pour lui l’occasion de s’interroger sur le cheminement intellectuel et la légitimité du « journalisme BD ». Cet ouvrage paru le mois dernier est un recueil de reportages réalisés pour des magazines, journaux et ouvrages collectifs.

Le chef de file du journalisme en bulles nous conduit tour à tour au tribunal de La Haye pour assister au procès d’un docteur Serbe accusé de génocide, à Malte, auprès des indésirables immigrés clandestins (oui, oui, encore une fois j’ouvre des perspectives réjouissantes de mer turquoise et sable chaud… mais attendez, le meilleur est à venir !), en Ingouchie (…), en Iraq, en Inde et en Palestine.

Même si Joe Sacco se proclame fièrement « cartoonist », ses multiples petits reportages sont le fruit d’une authentique démarche journalistique et ont glorieusement rempli les colonnes du New York Times Magazine, duTime Magazine, d’Amnesty International ou du The Guardian

 

La démarche est simple : Joe Sacco voyage dans des enfers improbables, rencontre des personnalités politiques, des réfugiés, des juristes, des tchétchènes par-ci, des palestiniens par-là, se plonge dans les archives, s’immerge dans les camps et les villes, se mêle aux populations et offre à nos petits yeux ignares mais curieux d’innombrables témoignages, des cartes, des tranches d’histoires,  des foultitudes de croquis. Aucun doute : la démarche est indiscutablement celle d’un journaliste.

Oui mais, rétorqueront les bachi-bouzouks, le tout, étant livré sous forme de sympathiques phylactères…, sent la subjectivité à plein nez. Et, bien… certes ! De fait, le support de bande dessinée rend vaine toute tentative d’objectivité : 

 

 « Les dessins sont des interprétations, même quand ils sont des reproductions serviles de photographies […] Il n’y a rien de fidèle dans un dessin. Un dessinateur de BD assemble délibérément des éléments et les dispose à dessein sur la page. […] C’est ce choix qui fait de la BD un médium subjectif par nature. » 1)

 

Pourtant, ce constat quelque peu simplet n’altère en rien la qualité de l’approche adoptée par l’auteur qui s’astreint à retranscrire une image complète de la réalité des conflits observés.

 

« Cela ne libère pas de sa responsabilité le dessinateur de BD qui aspire à faire du journalisme. Les obligations fondamentales du journaliste  – rendre compte fidèlement, reproduire les citations avec exactitude et vérifier les affirmations – subsistent. » 1) 

 

A Malte, son pays natal, Joe Sacco enquête sur la vague d’immigration africaine et la houle d’extrême droite qui l’accompagne, et s’attelle à délivrer au lecteur les points de vue qui s’entrechoquent :


Reportages - Joe Sacco - Futuropolis - 2011

.... Les peurs des maltais, aussi irrationnelles soient-elles, face à l’arrivée massive d’africains : « en l’espace d’un an, en 2008-2009, 3,500 Africains sont arrivés [l’île de Malte compte 400,000 habitants]»....

« Je suis contre leur venue … parce que je vois bien qu’un jour ils seront puissants à Malte et ça sera comme partout ailleurs, en France et en Belgique, où ils sèment la pagaille en cassant des voitures… »  

....Les aventures de ces « indésirables » qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie, poussés par l’espoir d’une vie meilleure, et échouent sur des rivages où l’intégration demeure un inaccessible leurre et où les espoirs finissent en lambeaux.....

« Je n’ai aucun avenir [à Malte]. Je veux aller dans un pays où je me sente chez moi… ou retourner en Erythrée si mon pays retrouve la paix. C’est vrai que je vis à Malte, mais en réalité je vis dans la communauté africaine de Malte. »



 « Même si, manifestement, mes sympathies allaient aux migrants, qui avaient enduré des épreuves considérables pour atteindre un endroit aussi peu accueillant […] j’ai pensé qu’il m’incombait de traiter sérieusement des peurs et des appréhensions du peuple maltais. » 1)

 

Si l’auteur se plie brillamment à cet exercice, il refuse d’endosser le fardeau de l’objectivité, s’oppose farouchement au respect servile de l’impartialité et prône un journalisme « honnête ».


 « Les écoles de journalisme américaines ont une vision de l’objectivité que je trouve problématique.  […] Les journalistes américains font la promotion d’une vision « équilibrée » des parties en conflit et d’une retranscription neutre de l’histoire. C’est au lecteur de juger et de décider de la vérité. » 2)

« Lorsqu’il travaille, le dessinateur de BD a en tête la vérité essentielle, pas la vérité littérale » 1)

 

 

« S’il existe une, deux ou davantage de versions des événements, un journaliste doit explorer et examiner chacune des affirmations. Mais à la fin, il doit aller au fond des choses et en rendre compte indépendamment de ceux qui affirment. […] Le journaliste doit faire son possible pour découvrir ce qui se passe et le dire, plutôt que de faire une entorse à la vérité au nom de l’égalité de temps. » 1)

 

C’est avec ce regard sévère qu’il juge son reportage « Coup d’œil sur Hébron » paru dans Time Magazine comme son « travail de journaliste BD le moins réussi ». Ce reportage retranscrit les témoignages juifs et palestiniens d’un quotidien tissé de haine, les petites guerres quotidiennes et impitoyables, les couvre-feux, les échanges fantômes de tir, les martyrs, d’un côté comme de l’autre. L’occasion pour l’auteur de retracer l’histoire de Hébron et d’amener le lecteur à comprendre la situation de la ville la plus conflictuelle de Cisjordanie, d’adopter le temps de quelques bulles les points de vue des deux partis. Ce récit apparaît comme le plus inachevé de la série de reportages, l’auteur, de façon exceptionnelle, s’étant dispensé de son « approche habituelle à la première personne ». Et j’ai longtemps attendu une chute ou une implication de l’auteur qui n’est pas venue, ce qui fut une aberrante surprise après avoir lu ses multiples ouvrages sur ce conflit.

 

« Pour cette raison, je n’ai pas réussi à transmettre convenablement la grande injustice qui consistait à soumettre la liberté de mouvement de dizaines de milliers de Palestiniens aux considérations de quelques centaines de colons juifs militants. » 2)

 

L’auteur n’aura de ce pêché été coupable qu’une unique fois et sa sensibilité aux conditions de vie de la population palestinienne apparaît plus clairement dans  « La guerre souterraine à Gaza » paru dans leNew York Times Magazine. Joe Sacco y dénonce la démesure de la campagne de démolition de maisons conduite par les Forces de Défense Israélienne (FDI) à travers les points de vue croisés de soldats des FDI et de palestiniens. Le savant mélange graphique de noir et blanc / couleurs permet de traduire la tristesse des démolitions (noir et blanc) et la douloureuse solitude des protagonistes (couleurs froides). 

 

Son engagement pour la cause des femmes Tchétchènes dans  « Guerre de Tchétchénie, Femmes tchétchènes » est évident lorsqu’au détour d’un rappel journalistique sur l’histoire de la Tchétchénie depuis l’accession à la présidence de Djokhar Doudaïev à la politique de Poutine, il porte un regard lourd d’empathie sur l’infatigable gent féminine « PDI » (personnes déplacées à l’intérieur) qui font vivre leurs foyers en dépit des difficultés.

 

  Reportages - Joe Sacco - Futuropolis - 2011

 

Dans « Trop de Confiance tue » publié dans The Guardian et « Une ! Deux ! », paru dans Harper's Magazine, Joe Sacco  se livre à un exercice de journalisme embarqué et se mêle aux forces de combat américaines. Il y traduit le caractère  « impérialiste »  de la mission menée par deux militaires américains chargés de métamorphoser les membres de la Garde nationale irakienne en soldats compétents et capables, selon les termes de GW Bush, « de prendre la relève pour nous permettre de nous retirer » (oui, il a fallu attendre un peu, l’article ayant été publié en 2007).

 

 « Une ! Deux ! » est une histoire plus réussie, car elle pénètre au cœur du projet impérialiste […] : la fracture entre ce que veulent les superviseurs américains, soucieux d’obtenir des résultats, …

« J’adore faire ces conneries, j’adore gueuler sur les gens »


…et ce que les autochntones traumatisés et perplexes sont capables ou désireux de faire. »

  « Ils disent qu’ils sont fiers d’être gardes… qu’ils veulent combattre les insurgés… et qu’on les entraîne bien. Me disent-ils ce qu’ils pensent que je veux entendre ? Croient-ils que je vais le répéter au sergent ou au premier maître ? »

 

« En résumé, le gros avantage d’un médium interprétatif par nature, tel que la bande dessinée, est qu’il m’a interdit de m’enfermer dans les limites du journalisme traditionnel. […]. Pour le meilleur ou pour le pire, la BD est un médium inflexible, qui m’a obligé à faire des choix. De mon point de vue, cela fait partie de son message. »1) 


Joe Sacco a incontestablement donné à la BD ses lettres de noblesse dans l’univers du journalisme. Et  à juste titre : c’est un genre qui peut expliquer le conflit, suggérer la violence et  la tristesse, prendre parti  avec une efficacité plus subtile que le livre ou la radio et qui, toutefois, ne provoque pas de l’écœurement du voyeurisme comme le fait savamment la télévision.

Une lecture enrichissante donc, à défaut d’être légère et pétillante ;  à lire comme on lit un (bon) canard. Traduction : ne vous attendez pas à vous esclaffer sur de bonnes blagues ou à fantasmer sur une charmante Cixi ou un bellâtre Largo.

Pour compléter, jetez un œil sur l’interview réalisée par Arte (in english) et celle réalisée par Evene.


1)      Extraits de la Préface de Reportages de Joe Sacco – Futuropolis

2)      Extraits des Reportages et Notes de l’auteur publiés chez Futuropolis

3)      Extraits de l’interview de Joe Sacco réalisée par Arte

 

 Pour les moins perspicaces, ce petit bonhomme c'est Joe Sacco. Dessiné par Joe Sacco.

 

 

Voyages au bout du crayon - Cabu

 

© Cabu / Flammarion

Titre : Voyages au bout du crayon

Scénariste : Cabu

Dessinateur : Cabu

Editeur : Flammarion

Date d'édition : Octobre 2011

 

PITCH DE L'EDITEUR

"je vous épargne les retards d'avion, la turista, les faux mendiants, les pickpockets, les piqures de scorpion, les hordes de beaufs en touristes, la musique boum-boum pour vous donner envie d'aller faire un tour en Asie avec mes carnets de croquis."

 

Dans Voyages au bout du crayon, Cabu envoie gaiement valser les cas de conscience et la sacro-sainte objectivité…

Voyages au bout du crayon, c’est l’humour de Cabu, le coup de crayon de Cabu et le style de Cabu qui s’étalent gaiment sur un florilège de croquis ramenés de Chine, du Japon et d’Inde entre 1992 et 2002. Flammarion propose en cette fin d’année une réédition de l’ouvrage, complétée de quelques rajouts de dessins et de commentaires d’actualité.

Pour ceux qui n’apprécient pas le personnage, passez votre chemin, pour les aficionados, ruez-vous dessus, c’est un très bon moment de lecture (garantie plus légère que la précédente). Pour ceux qui ne connaissent pas, tentez l’expérience, vous ne pourrez être indifférents à ce caricaturiste qu’on a surtout connu dans Charlie Hebdo et Le Canard Enchaîné.

« Je vous épargne les retards d’avion, la turista, les faux mendiants, les pickpockets, les piqûres de scorpion, les hordes de beaufs en touristes, la musique boum-boum pour vous donner envie d’aller faire un tour en Asie avec mes carnets de croquis. »

 

Point de fiction ici non plus, ces petits croquis sont des vrais documents d’histoire, de sociologie, et de géographie, esquissés d’une griffe reconnaissable entre toutes et bourrés d’humour.

 

 

Les aventures de Cabu en Chine sont surtout l’occasion de s’interroger sur les droits de l’homme chinois, la croissance du pays,  son impact sur l’environnement…

 

« Vous aussi vous avez une voiture pour deux français …. Alors pourquoi pas nous »

 

…sur les villes…

 

« Un chaos architectural qui permet de jumeler n’importe quelle ville chinoise avec n’importe quelle de nos banlieues. »

 

… sur les conditions de vie des ouvriers agricoles…

…et bien sûr de s’attarder sur les 600 millions de Chinoises !

 

Lors de son périple japonais, Cabu entasse dans sa besace les saveurs culinaires, l’expérience déconcertante des transports tokyoïte, les courbettes nippones, la légendaire politesse, … et le souvenir ému des bachelières japonaises…

© Cabu / Flammarion

 

Son vagabondage indien le mène à s’extasier devant les 100 millions de vaches sacrées, les 3 millions de divinités, les 50 millions de très riches et 300 millions de très pauvres, les pratiques exotiques dans le Gange, les autobus déglingués, les latrines…et, vous l’aurez deviné,  « les belles filles sur des tas d’ordures »


Un beau carnet de « clichés » et de caricatures donc, relevé par une superbe mise en couleur (réalisée par Wozniak) … même si l’histoire a parfois dépassé l’œuvre.

Un seul regret : la réédition d’octobre 2011 n’intègre que très peu d’ajouts par rapport à la version précédente. Une belle opération marketing ! Ce qui ne gâche rien à la lecture, qu’on se le dise.  

 

Petite bande-annonce pour ceux qui ne seraient pas convaincus :

 

 



29/12/2011
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