Coups de coeur du mois d'avril

 

Coups de coeur du mois d'avril


 

 

Vivre avec Balzac - Joris Clerté

 

© Joris Clerté / Warum

Titre : Vivre avec Balzac

Auteur : Joris Clerté

Editeur : Warum

Date d'édition : Mars 2012


PITCH DE L'EDITEUR

Qui n’a jamais rêvé de pouvoir s’entretenir avec un illustre écrivain disparu ? C’est justement la chance qu’a notre héros, Paul, heureux possesseur d’un Balzac encadré en chair et en os. Heureux ? Pas si sûr... Le brave Honoré, las du cadre dans lequel il est accroché au mur, prend parfois la liberté d’en sortir. Cela ne va pas toujours de soi : imaginez avoir à partager votre lit avec Balzac sous prétexte que votre conquête du moment est une grande littéraire, ou bien que l’écrivain, susceptible au plus haut point, décide de se venger du peu d’intérêt que vous portez à sa Comédie humaine... 

 


Un petit recueil de strips, découvert par le plus charmant des hasards, en flânant dans une librairie de BD, et qui mérite sans nul doute une bien plus large attention !

Dans le salon de Paul, petit bonhomme-bâton célibataire et épris de littérature, trône un cadre de Balzac peu commun puisque l'auteur de La Comédie Humaine y vit, en chair (et bien en chair) et en os.

 

Hélas, le cadre est bien sûr trop petit pour contenir la corpulence de Balzac, son égo, sa malice, son oeuvre, ses facéties et sa mauvaise humeur - pourrait-il en être autrement, lui qui ne cessait de déménager pour fuir ses créanciers à travers la France ?

 

© Joris Clerté / Warum

L'écrivain un peu bougon s'invite donc dans la vie de Paul, partage ses pauses cafés, critique ses lectures, rédige ses lettres d'amour, s'immisce jusque dans son lit pour causer littérature avec les amantes d'un Paul un poil excédé.

Et, naturellement, ce cher Honoré est aussi prolixe dans son cadre, qu’il est bavard dans son oeuvre, ce qui n'est pas peu dire !

Alors ... avoir son petit Balzac chez soi est indéniablement utile lorsqu’il s’agit de faire une déclaration écrite à ses conquêtes amoureuses… Mais quand ce diable de bonhomme se pique de l'intérêt de son hôte pour l'oeuvre de Flaubert (quelle audace ! ce pompeur !), l'ambiance devient rapidement infernale.

 

L’exercice réalisé par Joris Clerté est un superbe jeu qui met en scène un sympathique huis-clos entre Paul et Honoré de Balzac : un mur, un cadre, deux personnages. Les ingrédients sont simples mais la mise en scène est inteligemment menée et le lecteur est  plongé de l'autre côté du miroir pour  découvrir milles et unes anecdotes croisées, réelles ou librement interprétées, sur la vie de l'auteur.

 

Bref, un excellent moment de détente et de petites surprises sur les caprices et sautes d'humeur de Balzac.

 

 

De cape et de crocs - De la lune à la terre (Acte X) - Ayroles & Masbou

 

© Alain Ayrolles / Jean-Luc Masbou / Delcourt

Titre : De cape et de Crocs - Acte X - De la lune à la Terre

Scénariste : Alain Ayroles

Dessinateur : Jean)Luc Masbou

Editeur : Delcourt - Terres de légendes

Date d'édition : 11 avril 2012

 

PITCH DE L'EDITEUR

De geôles en galères, d'abordages en duels virevoltants, leur quête de gloire et de fortune les a menés jusqu'à la Lune. À présent, il est temps pour messieurs de Maupertuis et Villalobos de regagner la Terre. Mais l'amitié, l'amour et le sens de l'honneur s'opposent parfois. Avant de tirer leur révérence, ils devront affronter d'ultimes et terribles coups de théâtre. Arriverontils tous à bon port ?

 

 

Riez, dansez, sortez tambours et étendards !
Gentes dames, gentilshommes, ruez-vous hardiment,
Dévorez ce final, retrouvez dare-dare
Les escarmouches de Don Lope, les boniments
Faquins de Mendosa et l'exquise mine
D'Eusebe; Maupertuis et sa prose flamboyante ;
Les grâces de Séléné et les fougasses d'Hermine.
Bref, le dernier De Cape et de Crocs est en vente !

 

Inutile de chanter les louanges de cette série à ceux qui connaissaient les tomes précédents.

Pour les autres, quatre arguments pour vous convaincre :

 

1. Une histoire savoureuse.

Un coffre, qui contient une bouteille, qui contient une carte...

Sur cette carte, vous l'aurez deviné, des promesses de richesses qui mèneront les héros de Ayroles et Masbou vers les îles Tangerines. Ce trésor est un leurre qui les conduit vers l'astre lunaire.

Un récit peuplé d'aventures avec pirates et combats d'épées et joutes poétiques, une farce comique riche de rebondissements et de fracassantes révélations et une romance bien sentie avec jolies femmes et beaux sentiments. Le tout dans un monde imaginaire de maisons vivantes, de pierres qui parlent, de bâteaux volants, de forêts d'or, etc.

 

2. Un casting digne des plus grands Molière.

 

Armand de Maupertius, jeune renard à l'esprit follement cartésien, noble et rusé, qui croise le fer, aussi bien qu'il fait des vers.

Don Lope, fier hidalgo, au caractère impétieux et téméraire.
Hermine, une tzigane aussi courageuse que charmeuse.
Séléné, personnage énigmatique aux origines inconnues.
Eusèbe, le redoutable lapin, ausi attendrissant que niais.
Bombastus Johannes Théophrastus Almagestus Werhner von Ulm, savant fou, aux théories fantasques et aux inventions fabuleuses.
Cette crapule de Mendoza, le "très méchant" de l'oeuvre.
Cénile, riche armateur vénitien, abominablement avare et cupide, fait de l'étoffe des comédies de Molière.

 

3. Un texte sacrèment travaillé.

 

Des alexandrins dans une BD, c'est chose peu commune et sans doute un exercice ardu compte tenu des contraintes spatiales d'une planche de BD. Mais fichtre que les dialogues sont savoureux, et les tirades inimitables !

Lisez plutôt :

 

Cet animal, canaille, est doué de parole !
J’ose et ris, jase et rime, improvise et m’envole !
Ignorant les conseils d’un fâcheux capitan,
Je fais sonner des vers où l’estoc va tintant,
Élégant dans l’esquive, éloquent dans la frappe,
Un rire au coin des crocs et du vent dans la cape !

C’est sans doute un peu vain, mais mordicus, que c’est beau !
Je ne sers donc à rien ? Vous me flattez corbeau !

Je me targue en effet de servir l’inutile,
Quand tu sers le pouvoir ou le poursuis, servile,
Ô soudard sans vertu, malfaisant carnassier !
”Tais-toi donc ?” Je me tais. Laissons parler l’acier.


3. Un dessin aussi virtuose que le texte. Jean-Luc Masbou crée des ambiances très fortes, très contrastées, tantôt feutrées (certains paysages sont réellement grandioses)... tantôt grouillantes d'inombrables illustrations et de références artistiques. Chaque page est comme un lever de rideau sur une pièce de théatre savamment pensée et sur des références artistiques parfois faciles (Le Radeau de la Méduse, à gauche), parfois plus ardues (L'Ecole d'Athènes de Raphaël à droite).

 

© Alain Ayrolles / Jean-Luc Masbou / Delcourt

 

Et ces références sont innombrables, empruntant aux films de Bunuel, aux planches d'Astérix, au Lacrimosa du Requiem de Mozart, à la Sagrada Familia de Barcelone, aux contes de Perrault, à l'Atlantide de Platon, etc. De quoi passer des heures à débusquer sur chaque planche les références et autres clins d'oeil. A bon entendeur....

 

4. Enfin, un hymne à la littérature et surtout au théatre classique.

Les références au théatre sont omniprésentes : la première case est une scène de théatre et le récit s'ouvre sur une chasse au trésor qui n'est pas sans rappeler les Fourberies de Scapin de Molière et sa diable de galère.

 

Le tandem formé par le renard, Armand de Maupertius, et le loup, Don Lope de Villalobos y Sangrin, est un clin d'oeil à la littérature médiévale (Le roman de Renard). La Fontaine est bien évidemment convoqué à travers la poignée de perssonnnages à masque animal et personnalité humaine.

La construction et le rythme du récit sont solidement ancrés dans la lignée de Molière, de Théophile Gautier et de Cyrano.

Résultat : le lecteur se trouve plongé dans un édredon théatral, en quête savoureuse d'indices innombrables. C'est un délice.

 

L'Acte X, où les affaires d'honneur se règlent à la rixme ou à la barbichette, clot cette magnifique série. Malgré dix albums, pas une once de lassitude : tout au long du récit, les personnages ont gagné en profondeur et en personnalité.

 

Est-ce vraiment, VRAIMENT le dernier tome ? On attend encore le récit palpitant d'Eusèbe, le lapin et de connaître l'épouvtable crime qui le mena aux galères.

 

Régalez-vous !

La bande-annonce :

 

 

 


Ma vie posthume - Ne m'enterrez pas trop vite (T1) - Hubert & Zanzim

 

© Hubert / Zanzim / Glénat

Titre : Ma vie posthume

Scénariste : Hubert

Dessinateur : Zanzim

Editeur : Glénat - 1000 Feuilles

Date d'édition : 18 avril 2012

 

PITCH DE L'EDITEUR

Emma Doucet, vieille dame au fichu caractère, se laisse vivre depuis le décès de Pierre, son mari tant aimé. Un beau jour, dans son salon, elle reçoit une balle tirée d'on ne sait où ! Emma se relève de sa chute dans un drôle d'état : morte. Mais pas sous forme de spectre ou d'esprit ! En fait, mis à part un trou dans sa maigre poitrine et quelque chose de différent dans son regard, pas grand-chose n'a changé... Pour passer le temps qui ne lui est désormais plus compté, Emma se remémore le passé et se pose des questions : pourquoi son cher mari n'est pas revenu lui aussi ? Qui a bien pu la tuer ? Et que vont dire les voisins ?

Au-delà du savoureux mélange où se côtoient humour macabre, aventures burlesques et questionnements existentiels, les auteurs dressent le magnifique portrait d'une femme ayant traversé toute l'histoire du XXe siècle.

 

 

 

 


Un premier tome prometteur qui ravira les amateurs de la série Miss Pas Touche (du même scénariste, Hubert) et de La Sirène des pompiers (du même dessinateur, Zanzim).

 

C'est l'histoire d'une vieille femme acâriatre, au caractère aussi mauvais que sa mine, qui réalise un beau jour qu'elle est bel et bien morte. Assassinée.

Exception faite du trou qui traverse sa maigre poitrine, les odeurs de cadavre qui émanent de son corps verdâtre, cette mort n'est finalement pas une révolution dans sa vie.

 

La belle jeune rousse qu'elle voit dans le miroir du passé la plonge dans son passé lointain et défunt.

De flashback en flashback, notre héroïne morte-vivante se souvient de l'histoire enfouie de sa jeunesse insouciante, qu'on n'oserait soupconner sur les traits vieillis de son visage cadavérique.

Ne m'enterrez pas trop vite...

Une belle oeuvre, pleine d'humour macabre et cocasse. Et une belle reflexion sur la vieillesse (si, si, je vous assure, c'est drôle).

 

 

La Douce - François Schuiten

 

© F. Schuiten / Casterman

Titre : La Douce

Scénariste : François Schuiten

Dessinateur : François Schuiten

Editeur : Casterman

Date d'édition : 18 avril 2012

 

PITCH DE L'EDITEUR

À cinquante ans passés, Léon Van Bel, machiniste-mécanicien proche de la retraite, s’accroche passionnément à son métier de cheminot, et à la machine qui l’incarne : la 12.004, somptueuse loco à vapeur de plus de vingt mètres de long, avec laquelle il a déjà fait quatre fois le tour de la terre et qu’il surnomme affectueusement « la Douce ». Mais au fond, il ne se fait guère d’illusions. Dans ce monde qui pourrait être le nôtre, les transports ferroviaires traditionnels seront très bientôt détrônés par le téléphérique, et Van Bel irrémédiablement mis au rancart, sacrifié comme sa machine aux exigences de la modernité. Pour protéger la loco du dépeçage, le vieux cheminot révolté tente, en vain, de voler la Douce. Persuadé néanmoins qu’elle a pu échapper aux ferrailleurs, et qu’il saura la retrouver, il embarque clandestinement à bord du téléphérique, en compagnie d’une jeune femme mutique dont il a déjà brièvement croisé la route, dans des circonstances dramatiques…

 

 

Léon, machiniste-mécanicien, s'accroche désespèrement à son métier de cheminot. Illusion torturée par l'arrivée du téléphérique électrique qui sonne le glas de sa locomitive tant aimée.

C'est une histoire d'amour sombre et atrocement mélancolique qui lie le vieil homme, malade et proche de la retraite, à la locomotive qui l'a accompagné toute sa vie et dont il connaît tous les secrets, toutes les courbes, toutes les faiblesses.

Luttant contre le progrès, ici dévastateur, Léon s'acharne tristement à sauver sa "Douce".

 

Cette dernière BD de la sélection touche un public moins large que les précédentes et est sans aucun doute plus difficilement abordable : l'univers est très particulier, très sombre, il faut bien l'avouer.

Les amateurs des  décors urbains fantastiques auxquels nous avait habitués l'auteur (notamment dans Les Cités obscures), seront surpris car l'univers de La Douce - certes toujours fantasmagorique - est forgé dans la ferraille des chemins de fers et des câbles de téléphériques. Mais nulle inquiétude : le trait de Shuiten, sombre et extraordinairement précis, tout en noir et blanc, est reconnaissable entre tous.

L'attachement maladif de Léon à sa Douce fait légérement écho à celui de Jacques Lantier pour sa Lison, dans La Bête Humaine, de Zola.

 

Une très belle lecture pour les amateurs de François Schuiten. Pour les autres, je conseille plutôt de commencer par Les Cités obscures.

 

A découvrir : l'expérience de réalité augmentée conçue par Dassault.




15/05/2012
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