Fabien Vehlmann et Frantz Duchazeau

 

 

Fabien Vehlmann & Frantz Duchazeau


 

Des contes, toujours, avec trois bandes dessinées de Fabien Vehlmann et Frantz Duchazeau qui, décidèment, cobullent extrêmement bien ensemble.

 

J’ai découvert un peu par hasard une première BD au titre un peu improbable, Dieu qui pue Dieu qui pète… qui m’a menée, inévitablement, aux deux suivantes : Les Cinq conteurs de Bagdad et La Nuit de l’Inca.

 

 

La Nuit de l’Inca - Fabien Vehlmann & Frantz Duchazeau

 

© Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Poisson Pilote

Titre : La nuit de l'Inca

Scénariste : Fabien Vehlmann

Dessinateur : Frantz Duchazeau

Editeur : Poisson Pilote

Date d'édition : Octobre 2006

 

PITCH DE L'EDITEUR

À l'occasion de la sortie des Cinq conteurs de Bagdad, réédition sous forme d'intégrale de ce chef d'oeuvre de la collection Poisson Pilote.

 

Au pays des incas… le soleil s’obstine à ne pas se lever et les jours deviennent aussi noirs que les nuits. Verdures tranquilles et horizons lumineux laissent place aux ombres menaçantes des reliefs andins et des cités incas.

A Cuzco, dans la  forteresse de Sacsayhuamán, les couteaux sacrificiels, aveuglés par les sorcelleries des grands prêtres, frappent sans relâche ni pitié ; et des rivières de sang et d’or fondu se forment autour de la cité sacrée.  Grands prêtres s’entêtent à espérer que les sacrifices humains finiront bien par apaiser la colère des dieux et feront renaître le soleil.

 

Maki, estropié de la vie et injustement raillé se retrouve malgré lui au cœur du chaos qui règne sur les Andes. Au détour de sa fuite - mâchouillage de feuilles de coca aidant – le jeune désespéré croise des carcasses d’ancêtres qui le somment de raisonner l’Inca et de cesser le massacre inutile …

Et voilà notre anti-héros, dénué d’armes et de pouvoirs, contraint de choisir entre une vie héroïque vouée à une mort prochaine et douloureuse et l’indifférence égoïste au sort des futurs sacrifiés…

 

Une chouette mise en scène au cœur des cités incas et des paysages andins et des dessins qui s’attardent longuement sur les vêtements, l’architecture et les attributs du culte incas.  

 

Si le scénario n’a pas de valeur historique, l’étoffe de l’œuvre est incontestablement bien documentée.

C’est sur les hauteurs de l’Inihatana, au cœur du Machu Pichu, que s’accomplit le destin de Maki. Et quel bonheur de voir renaître dans mes souvenirs des ruines de Cusco et du Machu Pichu toute une défunte civilisation.

 

La rupture entre un décor solidement ancré dans la culture précolombienne et des dialogues franchement contemporains est largement maîtrisée et plutôt savoureuse.

 

A dévorer donc.

Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Poisson Pilote

 

 

 

Dieu qui pue Dieu qui pète

 

© Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Milan

Titre : Dieu qui pue Dieu qui pète et autres petites histoires africaines

Scénariste : Fabien Vehlmann

Dessinateur : aFrantz Duchazeaua

Editeur : Milan

Date d'édition : 6 avril 2006

 

PITCH DE L'EDITEUR

L’Afrique est la véritable héroïne de ce recueil d’histoires courtes inspirées de récits traditionnels. Cette Afrique magique, mystérieuse, qui au fil des rencontres prend la forme d’animaux qui parlent, d’esprits farceurs ou de mystérieux maléfices…

 

Ouvrir cette BD c’est pénétrer dans le royaume des contes et légendes africaines.

Et l’exercice est sacrément délicat pour les deux auteurs : faire tenir neuf contes aussi cocasses que concis dans une BD format traditionnel exige un rythme bien senti et des scénarios luminuex.

 

« Dieu est arrivé chez nous par une belle journée de printemps. Enfin, quand je dis Dieu, c'est pas trop sûr. Il ressemblait plutôt à une grosse nuée de mouches avec, au milieu, un type qui sentait comme mille crottins d'éléphant malade. Bref il a demandé asile dans notre village, et on s’est un peu sentis obligés d’accepter. »

 

En vrac :

Une gamine qui s’aventure hors de son village pour créer son royaume et régner sur une fourmillère, un lion et une ombre de crâne ; un tout petit voyage initiatique à dos de tortue ; des mots piégés par la tempête qui se perdent dans le désert, etc.

Tantôt drôle, tantôt poétique, le tout est accompagné de très belles planches : Frantz Duchazeau jongle avec les hachures, les traits épais et le pinceau sec (déjà largement utilisées dans La Nuit de l’Inca). Comme précédemment, des arrières plans très dépouillés, des jeux d’ombre très marqués, des arbres squelettiques, des arbres poétiques, des arbres ensorcelants, des esprits farceurs, des masques africains…

Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Milan

 

Pour petits et grands.

 

 

Les cinq conteurs de Bagdad

 

Le meilleur pour finir...

 

© Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Dargaud

Titre : Les cinq conteurs de Bagdad

Scénariste : Fabien Vehlmann

Dessinateur : Frantz Duchazeau

Editeur : Dargaud

Date d'édition : 6 octobre 2006

 

PITCH DE L'EDITEUR

Il y a bien longtemps, le Calife de Bagdad organisait un concours de conteurs destiné à récompenser le meilleur d'entre eux. Pour le gagnant, la célébrité et la richesse sont au rendez-vous. Pour le perdant, c'est le supplice du pal... Cinq conteurs, réputés les meilleurs malgré leurs différences, décident alors de s'allier et d'accomplir un voyage afin de préparer ce concours...

Dans un vertige narratif parfaitement maîtrisé, un récitant dit l'histoire des cinq conteurs, dans laquelle se racontent toutes sortes d'histoires. Ce qui donne lieu à une brillante réflexion sur la force de la parole, et, en passant, un débat amusant sur "l'audimat" de l'époque. Les contes sont-ils faits pour divertir le travailleur, ou pour tenter de changer le monde ?

 

Rassurez-vous, Les cinq conteurs de Bagdad n’est pas une énième version des contes des mille et une nuits.

 

Il y a bien longtemps… le Calife de Bagdad organisait un concours de conteurs : célébrité et richesse récompenseront le meilleur récit, torture et honte puniront le plus mauvais conteur.

Les cinq conteurs les plus prometteurs décident de s'allier et d'accomplir un voyage initiatique afin de préparer le concours :

Nazim, conteur populaire et attachant gaillard, Wahid, conteur de café, mystérieux et révolté, Tarek, conteur charmeur, ancien gamin des rues, Anouar, conteur philosophe, aussi bougon  que malicieux et Ahmed, fils du calife, vaguement insupportable, aux interventions venimeuses.

©Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Dargaud


Ce n'est pas tant l’intrigue que les détours pour la mettre en scène qui font la qualité du scénario. Car son issue est dictée dès les premières pages du récit par la meilleure devineresse de Bagdad. Et, en dépit des funestes prophéties qui leur sont promises, les cinq conteurs affrontent leur destin et décident de faire un périple à travers le monde pour s’inspirer des histoires les plus extraordinaires  et imaginer le conte qui “rendra le monde un peu meilleur”, dussent-ils en périr…

Les voilà donc en route vers un périple destiné à tisser l’étoffe imaginaire de leur conte, affrontant sombres cannibales, fanatiques assassins,  assourdissants perroquets et essaim de djinns. Les récits récoltés dans leur besace, parfois sans queue ni tête ou ubuesques, tantôt naïfs, tantôt angoissants, inspirés ou inspirants, sont surtout de charmants prétextes pour s’interroger sur le rôle du conteur et la fonction du conte.

 

 

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Sans surprise, la machine infernale du destin se met en place et les cinq conteurs réalisent à la lettre les prophéties dictées par le marc du café.  

 

Le récit de Fabien Vehlmann, somptueusement elliptique et riche en paraboles sur l’art de la narration, emprunte un cheminement tortueux et poétique pour aboutir aux prophéties révélées par la devineresse enchanteresse.

 

L’intrigue s’accompagne parfaitement du dessin de Frantz Duchazeau : des décors sobres mais lourds de poésie, des visages fins et étonnamment expressifs, des silhouettes élégantes et mystérieuses.

Un vrai régal qui stimule comme rarement l’imagination du lecteur, prise au dépourvu entre personnages envoûtants, contes inachevés et décors hachurés.

 

Les cinq conteurs de Bagdad se rapproche beaucoup de l’univers du conte philosophique, empruntant au conte populaire son cadre imaginaire et symbolique, les deux auteurs s’appuient sur des ressources allégoriques pour interroger la réalité. Car le périple des cinq conteurs et la joute de contes qui clôture le récit sont surtout l’occasion de s’interroger sur le travail du conteur et la finalité du conte : s’agit-il de divertir ? faire la morale ? changer le regard du lecteur sur le monde ? exprimer une vérité ?

                                                       

« Va savoir… je veux croire qu’un bon conteur est comme un prophète, un medium… qu’il peut entrevoir ce que les autres ne voient pas. Ses histoires vont alors changer la manière de voir les choses de ceux qui l’entendront. Et changer le regard sur le monde, c’est déjà changer le monde.

- Haha ! Nous ne sommes ni des demiurges ni des guerriers et nos contes ne sont que des contes ! … des petits récits divertissants que nous fabriquons avec notre cœur, c’est tout !

- Voilà pourquoi tes histoires ne sont pas habitées Nazim. Tu n’as su y enfermer aucun fantôme, aucun esprit errant, juste un peu de savoir-faire…. Tes histoires sont des cadavres

- Allez vous faire foutre ! Continuez à me mépriser, moi et mon public de merde ! Ces gens qui ont le mauvais goût de ne chercher qu’un peu de rêve et de soleil après une foutue journée de travail ! Mais quand à force de raconter des histoires que nul ne comprend, vous vous retrouverez entre vous, tellement entre vous que vous serez tous seuls, alors revenez m’expliquer comment vous changerez le monde. »

 

En somme, un vague microcosme du festival d’Angoulême.

Et sans doute la traduction en bulles du dilemme des auteurs : à travers les cinq personnages et les ingrédients du conte parfait, les deux auteurs ne cessent de naviguer entre les deux visions du conte et les deux armes de la narration : alchimie et vérité.

 

« Il mis à profit tous les secrets (…) tendus vers un seul objectif : éblouir l’auditoire par une démonstration de virtuosité gratuite. Il m’assura par la suite avoir fait cela pour rester dans la place… Pour que par la suite, ses autres histoires, celles qui devaient changer le monde, puissent être entendues. »

 

La citation liminaire de Jean-Claude Carrière saisit savamment le sens de l’album :

 

« Ces histoires, dont on ne sait jamais quel génie méconnu un jour les inventa – arrivent à point nommé pour semer le doute, pour renforcer ou ébranler les lois, pour raffiner et pervertir nos rapports familiaux, sociaux, pour dérouter la politique, pour provoquer constamment l’au-delà, qui se garde bien de répondre. Elles sont un supplément d’inattendu, de curiosité, d’inquiétude dans le bien-être. Elles touchent gracieusement à tous les points de l’interrogation humaine, comme des étincelles autour d’un même feu. »

©Fabien Vehlmann / Frantz Duchazeau / Dargaud

 

 Une très belle découverte donc, à lire sans hésitation, pour tous les âges.



23/02/2012
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