Interview de Mathieu Sapin
Interview de Mathieu Sapin
Auteur de Campagne présidentielle
200 jours dans les pas du candidat François Hollande, par Mathieu Sapin
© Mathieu Sapin / Dargaud |
Titre : Campagne présidentielle Scénariste : Mathieu Sapin Scénariste : Mathieu Sapin Editeur : Dargaud Date d'édition : 22 mai 2012 |
PITCH DE L'EDITEUR Depuis octobre 2011, Mathieu Sapin accompagne François Hollande pendant sa campagne, au plus près du candidat. Réunions stratégiques, déplacements, meetings et confidences exclusives : le BD reporter livre un document passionnant sur les coulisses d'une campagne présidentielle à nulle autre pareille.
Après Feuille de chou, Journal d'un tournage et Journal d'un journal (Editions Delcourt), ce spécialiste du reportage dessiné s'attaque à la vie politique et à ses coutumes secrètes. |
J’ai fait un précédent livre sur les coulisses de Libération (Journal d’un Journal(1))qui est paru chez Delcourt. Pendant six mois, j’ai passé du temps au sein de la rédaction de Libération, j’étais en contact avec les journalistes et j’essayais de comprendre comment fonctionnait ce milieu.
A l’issue de ce travail, ils m’ont assez naturellement demandé ce que j’avais prévu de faire après… C’était il y a un an, avant l’été, on commençait à parler des présidentielles… Et je me suis dit, ce serait chouette de suivre la campagne.
Libé a pris ma proposition tout à fait au sérieux : ils m’ont proposé de me mettre en contact avec le service politique du journal pour me permettre de suivre, comme n’importe quel journaliste, les déplacements, les rendez-vous de la campagne.
Le choix de suivre François Hollande s’est-il fait naturellement ?
Cela me paraissait impossible de couvrir l’intégralité de la campagne ; je préférais suivre un candidat… Il a fallu faire un choix.
Mélenchon… ou Marine Le Pen… c’était plus facile de les approcher… Mais l’aventure risquait fort de s’arrêter au premier tour !
L’idée était de rester le plus longtemps possible. Il ne restait que l’UMP ou le PS.
En venant de Libé… le PS, c’était plus facile.
[…] J’ai attendu le résultat des primaires. Contrairement à Laurent Binet -l’écrivain qui a suivi la campagne de François Hollande- qui s’est tout de suite positionné et qui a pris un risque. […] Une fois que François Hollande a été désigné, j’ai fait tout ce que j’ai pu pour essayer de convaincre son équipe de campagne de m’accepter.
Comment avez vous réussi à vous infiltrer aussi près de l’équipe de campagne et de François Hollande ?
Ce n’était pas simple… Libé me permettait de suivre toute l’aventure dans les mêmes conditions que n’importe quel journaliste… C’était déjà pas mal. Mais j’avais espoir d’avoir plus… Donc j’ai lancé des contacts ! […] Ce furent trois mois de tergiversations, de coups de fil, d’insistance…
La chance a été très importante dans mon parcours. […] J’ai rencontré des personnes qui m’ont permis de mettre en confiance l’équipe de campagne. Je pense notamment à Olivier Faure, [député PS, en charge de la communication de François Hollande pendant la primaire] qui est un gros passionné de BD et qui en a même écrit une, Ségo, François, Papa et moi. Ma démarche, évidemment, l’intéressait beaucoup. Il m’a beaucoup aidé.
Certains arguments ont joué en ma faveur : le côté sympathique de la BD … le fait que mon livre ne sorte qu'après les élections, donc aucun problème de confidentialité.
Et… j’avais l’appui de Libé.
Et c’est vrai que j’ai cette faculté de me rendre relativement discret, les gens sont rapidement mis en confiance.
Comment ont-ils réagi ? Etaient-ils méfiants ?
Moi, j’ai vraiment l’impression qu’ils avaient d’autres chats à fouetter, du coup ils m’ont un peu oublié. Le temps passant, ils se sont habitués à ma présence, ils ne faisaient plus vraiment gaffe.
[…]
Le contrat qui nous liait était oral, il n’y avait rien d’écrit. Donc c’était vraiment un rapport de confiance. Mais cette souplesse était aussi un avantage pour eux : si je les gênais, rien ne les empêchait de me fermer les portes. Je n’avais jamais l’assurance de pouvoir aller à tel ou tel endroit d’un jour sur l’autre.
En plus, François Hollande était dans une dynamique positive, les choses se sont bien passées : il n’y avait aucune raison d’être crispé. Je pense notamment aux résultats pendant les deux tours, comme tout se passait particulièrement bien, j’ai pu être aux premières loges, dans le bureau de François Hollande. C’est sûr que si ca s’était mal passé… je n’y aurais pas été…
Qu’est ce qui vous a le plus surpris ?
Beaucoup de choses… c’est six mois de ma vie pendant lesquels je n’ai vraiment fait que ça.
A mon échelle personnelle, je me suis surpris à être victime du côté addictif du rythme de la campagne, de la dynamique, de l’obsession des chiffres, l’obsession de l’information, l’obsession des sondages.
Alors que la politique ne me passionnait pas, je me suis surpris à suivre l’actu en permanence sur Tweeter.
Mais ce qui m’a le plus frappé, c’est le rapport très ambigu aux médias et à la presse.
Le rapport de la presse à la classe politique est très complexe : les politiques ont besoin des journalistes… et les journalistes ont besoin des politiques pour pouvoir faire leur travail… les politiques leur donnent à manger : ils leur donnent des infos. Il y a un rapport d’échange et forcément de collusion.
Autre chose m’a également frappé : c’est le média qui fait la réalité.
L’exemple le plus emblématique : 3 heures avant le 20h, François Hollande connaît le résultat, il sait qu’il est élu et il a cette phrase que je trouve vraiment révélatrice « J’ai besoin de voir à la télévision que c’est vrai ». Il a besoin, lui, des médias, pour confirmer ce qu’il est… C’est très frappant de voir que même à l’épicentre de l’évènement, malgré tout, ce sont les médias qui confirment la réalité, qui rendent réelle l’information.
Vous avez souvent évoqué la mise en scène, la fabrication du décor et des symboles, le story telling par l’équipe de campagne. Quelle place restait-il pour l’improvisation ?
L’équipe de campagne fait tout pour qu’il n’y ait pas d’imprévu. Tout est validé, balisé au maximum : les déplacements, les rencontres avec la presse, les évènements.
Il faut créer l’évènement : c’est une lutte permanente pour voler la vedette et être au centre de l’information.
Souvent j’ai pensé que tout cela n’était qu’une vaste opération de communication dont le but était de séduire les électeurs. Le fond des choses, le programme politique, les convictions passent presque au second plan ; ce qui prime c’est l’information et la façon dont elle va être reçue par les électeurs. […]
Nécessairement, à certains moments on dévie… à cause des imprévus.
Parfois, c’est peu grave, comme l’affaire de la farine, un faux attentat à la farine sur François Hollande, qui a mobilisé pendant 24h les médias. Évidemment personne ne l’avait vu venir, ça bouscule les habitudes, ça crée du stress et tout le monde est mobilisé. Et finalement… en terme d’image, ce n’est pas si mal, car François Hollande en est ressorti comme quelqu’un qui a beaucoup de sang froid. C’était toujours intéressant de voir de quelle manière ils parvenaient à retomber sur leurs pattes.
Parfois, c’est plus dramatique… l’affaire Merah a complètement bousculé l’échiquier… Et là, il a fallu que l’équipe de campagne parvienne à l’utiliser à son avantage.
C’est très impressionnant de voir cette équipe en ordre de marche qui tantôt crée l’événement, tantôt l’intègre pour dérouler le programme de campagne.
Cette expérience a-t-elle changé votre façon de percevoir l’information dans les médias traditionnels ?
Oui, bien sûr, ça l’a affinée. Même si je ne condamne rien.
L’avantage que j’avais, en tant qu’auteur de BD, c’est que je n’étais pas tenu de raconter quelque chose à la fin de la journée : s’il ne se passait rien d’intéressant, je ne racontais rien.
Alors que les médias sont obligés, tous les jours, de donner de l’information et de faire monter la sauce, de donner de l’importance à ce qui n’en a pas ; ils meublent en permanence.
Et, en même temps, je suis admiratif du travail des journalistes qui parviennent à décrypter un discours en direct, à rendre lisible l’information en direct.
C’est d’ailleurs quelque chose de très frappant : les politiques ne s’adressent pas aux électeurs, ils s’adressent aux journalistes qui digèrent l’information et la rendent lisible et fluide pour les électeurs. En faisant une sorte de digest de discours souvent trop touffus.
[…]
Les membres de l’équipe étaient-ils très différents de leur avatar médiatique ? François Hollande, Manuel Valls ?
Manuel Valls, non ! Je l’ai trouvé très cohérent… C’est ce qui m’a amusé d’ailleurs : même en l’absence de camérax et de journalistes, il s’exprime malgré tout de manière très particulière, avec des phrases bizarrement construites.
François Hollande est beaucoup plus relâché loin des caméras, il va dire des gros mots, il va parler comme tout le monde. Face aux caméras, il a une diction très fabriquée.
Evidement, malgré la fatigue qui s’accumulait, j’ai senti une détermination très affirmée et grandissante. Même hors caméra, je l’ai peu vu douter. Le seul instant pendant lequel je l’ai vu un peu dépassé, c’était au moment de l’affaire Merah, pendant la marche dans Paris. L’imprévu, les bousculades… on sentait qu’il était dépassé.
Mais sinon je l’ai senti toujours en contrôle, toujours déterminé, toujours focus.
Votre point de vue sur Hollande, en tant qu’homme et en tant que candidat a-t-il évolué pendant la campagne ?
Je n’avais pas d’a priori particulier. Je connaissais peu le personnage. Je concède volontiers que j’ai été séduit. Dès le départ, je constatais qu’entre chaque rendez-vous, entre chaque déplacement… il travaillait, il épluchait les dossiers. Ce n’était pas juste une posture, il n’était pas là par hasard. Je l’ai ressenti comme quelqu’un qui est un très gros travailleur.
Mais je savais que j’avais affaire à des professionnels de la communication, j’essayais en permanence d’être vigilant. C’est pour ca que j’ai peu posé de questions à François Hollande, je préférais l’observer, car je savais qu’il me ferait des réponses fabriquées, des réponses d’homme politique. Et ce n’est pas ce que je cherchais.
Etiez-vous souvent mal à l’aise ?
Oui, en permanence. Beaucoup de personnes ne connaissaient pas mon rôle. On n’est jamais très à l’aise mais en même temps, c’est assez plaisant d’être là ou ça se passe.
Le côté VIP 24H/24 est toujours désagréable : il faut en permanence forcer les choses pour pouvoir être à tel endroit, systématiquement, pour assister à une réunion, ne serait-ce qu’une banale réunion de presse… ça demande énormément d’insistance et de ténacité.
Il fallait en permanence être aux aguets et savoir saisir les opportunités.
Votre rythme de travail et l’organisation ont été, j’imagine, inhabituels : il fallait chaque jour digérer la masse d’information et improviser au fil des événements le storyboard. Comment avez-vous travaillé ?
Je confirme… c’était épuisant. Mais j’ai adoré !
Quand j’ai fait les bouquins sur Libé (Journal d’un journal) ou sur le tournage du film Gainsbourg, vie héroïque (Feuille de chou – Journal d’un tournage(2)), je dessinais en direct puis je perfectionnais les pages à l’atelier. Il y avait une écriture en direct.
Là, c’était différent : j’avais un nombre de pages très limité du fait du format « album ». Donc il fallait anticiper l’information qui restait à couvrir et la place qui me restait …
Je ne pouvais pas dessiner en direct. Je prenais beaucoup de notes, de vidéos, de séquences audio, c’était ma matière première. Une semaine, deux semaines après, je synthétisais le tout sur un petit strip, une demi-page ou plusieurs pages.
Au tout début, je faisais beaucoup de planches ... dont de nombreuses que je n’ai pas gardées. Par exemple, pendant le déplacement aux Antibes, j’ai fait beaucoup de planches : au final, dans mon bouquin ça ne prend qu’une page. Alors que si j’avais voulu mettre en forme tous les éléments que j’avais, j’aurais pu faire au moins cinq pages.
Donc systématiquement, j’attendais un peu, pour voir si à l’épreuve de temps l’information restait importante. Sur le moment je ne faisais qu’un embryon de storyboard, mais c’est vraiment plusieurs jours plus tard que je décidais de ce que je gardais.
Et puis… il ya quelques petites tricheries dans la chronologie. Quand je suis à un déjeuner avec Pierre Moscovici… on parle de Nicolas Sarkozy qui a intérêt à faire peur aux Français. Ces pages-là je les ai réalisées assez vite après le déjeuner. Mais quelques mois plus tard, éclate l’affaire Merah et là, je me suis dit que les deux événements entraient en résonnance… donc je suis revenu en arrière et j’ai rajouté une bulle.
Je m’autorisais à revenir sur mon travail.
C’est vraiment ce qui était difficile. En général, quand on écrit une BD, on écrit l’ensemble avant de faire les pages… et là, je ne pouvais pas !
A tel point que pour rendre possible la sortie du livre dans les délais fixés, le plus proche possible de l’issue du résultat, on a dû imprimer les deux-tiers du bouquin (les 48 premières pages) au moment de l’entre deux tours.
C’était assez stressant, ça voulait dire que je ne pouvais pas revenir dessus, c’était imprimé… Et je ne connaissais pas la fin de mon album ! Le repentir était impossible !
Mais c’était un beau moteur, ça m’a obligé à être très fortement concentré sur ce que j’écrivais.
A l’exception de la contrainte du timing, avez-vous eu carte blanche avec votre éditeur ?
Oui. Les seules contraintes concernaient la vie privée de l’équipe de campagne. Je ne me suis jamais amusé à parler de la famille de François Hollande.
Vous êtes vous auto-censuré ?
Non, pas tellement.
Mais j’ai dû faire le tri et sélectionner.
Je n’ai raconté que les choses qui ont eu un intérêt. Raconter qu’un tel a dit une saloperie sur un tel… quand cela n’a pas d’autre intérêt… je ne l’ai pas fait.
J’ai aussi évité les redondances. Notamment dans les loges TV, j’avais une première scène de François Hollande assez marrante […] puis une deuxième, qui est dans le livre : François Hollande, dans la loge de France 2, en chaussettes et chemise ouverte … et les caméras qui tentent de rentrer. Deux scènes du même type, avec les mêmes décors… j’ai dû choisir.
On parle assez peu de Nicolas Sarkozy finalement : est-ce un choix de votre part ?
C’était très tacite quand ils parlaient de Nicolas Sarkozy… ils disaient « l’autre ». C’était tellement intégré que c’était l’adversaire à abattre… c’était le cahier des charges…
[…]
Mais, clairement, ce n’était pas en permanence un sujet de conversation. C’est peut être curieux, mais Nicolas Sarkozy était rarement au centre de la conversation.
Par exemple, le dîner avec Arnaud Montebourg : pendant près de deux heures, on a beaucoup discuté mais on n’a jamais parlé de Nicolas Sarkozy.
[…]
Avez-vous été surpris par les nominations au gouvernement ?
Non.
Assez vite, on a senti que Moscovici aurait pu faire un très bon premier ministre (du moins crédible). Mais il ne s’est pas imposé.
Et Manuel Valls… je l’ai vu venir très vite. Il était énormément sur le devant de la scène, il n’a pas épargné ses efforts…
L’anecdote de Valls, cassante à votre égard… Il y avait-il de l’animosité entre vous ?
Manuel Valls est un très bon personnage. J’aurais bien voulu en faire plus sur lui… C’est beaucoup plus pratique que quelqu’un comme Michel Sapin… qui est plus… « grosse tête » et qui faisait moins de sorties marrantes ou exploitables. Manuel Valls est un très bon client !
[…]
Mais si je l’ai racontée, ce n’était pas qu’une anecdote !
C’est vrai que Manuel Valls est très cassant, il a un humour vraiment pince-sans-rire et il casse en permanence les journalistes. Les journalistes rient jaune parce qu’ils ne peuvent pas tellement le mettre en boite. Et peut-être qu’il abuse un peu de cette positon… Il vanne en permanence. Même les membres de l’équipe de campagne.
La BD entre progressivement dans la cour des grands : les exemples de BD reportage sont de plus en plus nombreux et certains d’excellente qualité. Est ce que cela légitime un peu plus la BD comme média à part entière ?
C’est très délicat… je ne suis pas journaliste !
Effectivement, la BD a de plus en plus de légitimité pour parler du réel et mettre en scène la réalité. Mais cela reste à mes yeux un témoignage plus qu’un reportage.
Dans tous les exemples qu’on a, l’auteur de BD fait ce qu’il veut : on compte sur son honnêteté intellectuelle pour ne pas travestir la réalité. Mais il n’existe pas de charte de déontologie des dessinateurs de BD comme il en existe pour les journalistes !
Ce ne sont pas les mêmes obligations, ce ne sont pas les mêmes contraintes, notamment en termes de délais. […]
Nous, on a une liberté beaucoup plus grande qui est une force considérable.
Je suis ravi de voir la BD prendre une place beaucoup plus importante entre la fiction et le reportage. Mais je pense qu’il ne faut pas confondre. A aucun moment je ne me prends pour un journaliste, même si j’ai lu des critiques de mon livre disant que c’était un vrai travail de journaliste. Mais je ne suis pas journaliste. Et c’est un point délicat.
Je pense que les choses vont évoluer. Et j’ai bon espoir qu’un jour un quotidien demande à un auteur de BD de faire un reportage et passe une commande. Mais tous les exemples jusqu'à présent restent des démarches personnelles des auteurs qui montrent que la BD peut parler de tout.
Vous êtes perçu comme un sympathique bonhomme, français moyen… Vous retrouvez vous dans le reporter BD de vos albums ?
C’est évidemment un avatar. C’est un personnage qui a de nombreux avantages. Il me permet de parler de tout et de rien… de faire le lien avec un lecteur qui n’est pas forcément familier des sujets que j’aborde… et d’amener beaucoup d’humour : souvent les ressorts humoristiques viennent de mon intervention.
Mais c’est à double tranchant. Le côté « benêt » peut agacer. Je reste très vigilant par rapport à ça. Je tiens compte des réactions que j’entends. Donc le personnage évolue, je m’adapte à mon interlocuteur.
Un nouveau projet ?
J’ai engagé un nouveau projet qui transpire un peu du média BD : un réalisateur, Jean-Pierre Pozzi, m’a proposé de faire un film sur mon prochain BD reportage. C’est un peu une mise en abyme dans laquelle je suis à l’écran en train de faire mon travail de BD reporter. Le sujet du reportage et du film est la mort du cinéma argentique : des cinémas vont fermer, des métiers vont disparaitre, d’autres vont être crées, ça chamboule pas mal de choses dans l’exploitation des films en salle. Et, je change de décor : ce sera en milieu rural ; et ça me plait beaucoup.
Et je vais aussi décrire ce que cela fait d’être filmé. C’est ça qui m’amuse beaucoup.
[…]
Moi ce qui m’intéresse, c’est de voir les choses à l’échelle humaine. En l’occurrence, Campagne présidentielle est un peu hors normes… mais j’essaie, et j’ai essayé avec François Hollande, de montrer ce que je vois à hauteur d’homme et de ne montrer que ce que je vois. […] Et c’est ce que font la plupart des BD reporters, Etienne Davodeau, Guy Delisle, c’est pareil !
Je reçois beaucoup de propositions de BD reportages… d’un architecte, d’un chanteur…
Je suis ravi ! Mon moteur principal c’est la curiosité et l’amusement : du moment que quelque chose m’intrigue je trouve cela formidable.
C’est un luxe absolu ! On m’ouvre les portes.
Il est aussi possible aussi que l’aventure politique se poursuive et que je fasse une « enquête » sur l’assemblée nationale, le sénat ou l’Élysée.
[…]
Le succès de Campagne présidentielle, l’exposition dont vous avez bénéficié et toutes ces propositions qui pleuvent… Cela impacte-t-il votre carrière d’auteur de BD ?
Oui. […] J’ai par ailleurs beaucoup de projets de fiction, en cours, ou à venir. Je suis obligé de réfléchir sur mes priorités, tout en essayant au maximum de profiter de cette chance qui se présente. Mais il faut que ça reste un plaisir.
[…]
J’ai commencé ma carrière avec des ouvrages pour la jeunesse. Mes goûts, mon style graphique, mes codes viennent de là. Et je ne m’en cache pas. C’est ce qui fait aussi la particularité de mon travail : cette sorte de fausse innocence, ce côté un peu enfantin de prime abord. Je m’appuie sur ça pour raconter des choses qui le sont bien moins.
Et le blog BD ?
Je ne me considère pas comme un bloggeur. J’utilise le blog comme un support de visibilité et pour montrer les à-côtés qui ne vont pas être dans le livre.
En même temps, dans un monde idéal, j’aimerais avoir plus de temps pour faire un feuilleton. Mais là, j’avoue que j’ai du mal à être régulier.
Par contre, j’ai un projet de blog à Libération : je vais faire une page d’actualité hebdomadaire.
Vous travaillez dans un atelier avec d’autres auteurs de BD : racontez-nous !
Oui, je suis dans un atelier avec Riad Sattouf, Christophe Blain et Joann Sfar (de manière intermittente). Cela fait dix ans qu’on est ici, tous les quatre. C’est Joann qui nous a proposé de monter un atelier. C’est plus agréable de travailler à plusieurs et cela génère des avantages considérables : l’échange artistique, l’échange créatif.
Ils sont mes premiers lecteurs, comme je le suis pour eux ; on s’aide mutuellement quand on a des doutes…
A mes débuts, ils m’ont mis le pied à l’étrier, ils ont fait du lobbying pour que Dargaud me publie, ils m’ont énormément conseillé. Ma carrière repose en grande partie sur eux. […]
Vous avez une influence les uns sur les autres ?
Oui bien sûr. Très forte. Mais qui est difficile à mesurer.
Il y a une influence concrète mais également quelque chose de plus impalpable.
Par exemple, Riad a un peu ouvert le jeu en faisant Retour au Collège(3), en inaugurant cette mode de la fiction-réalité. Je ne sais pas dans quelle mesure cela m’a influencé, mais c’est certain qu’il y a un lien.
Quand j’ai suivi Gainsbourg, Vie héroïque le film de Joann, c’est venu d’une proposition de Lewis Trondheim, qui, à l’époque, avait popularisé l’idée de faire des carnets illustrés, dont les premiers ont été faits par Joann…
Des tensions parfois entre vous ?
Tous les auteurs de BD que je connais sont mégalomanes, autocentrés… moi le premier ! Donc fatalement il y a des choses qui passent plus ou moins bien.
Découvrez ici une critique de l'album Campagne présidentielle.
Propos recueillis par Ma. Isabel
Les illustrations sont extraites de Campage présidentielle de Mathieu Sapin, édité chez Delcourt.
Un grand merci à Mathieu Sapin !
Notes :
Né en 1974, Mathieu Sapin reste, avec une quarantaine de livres à son actif, un des auteurs les plus insaisissables de sa génération. Il mélange les genres et les casquettes, multiplie les aventures éditoriales fascinantes. Comme sa mère était bibliothécaire (son père archéologue), il a eu, gamin, dans les mains des albums qui ne lui étaient pas destinés. Si bien que, depuis ses débuts dans l'édition, il pratique le grand écart entre oeuvres pour adultes et pour la jeunesse.
Après avoir appris à dessiner aux Arts Déco de Strasbourg, il effectue son objection de conscience à la Cité Nationale de la Bande Dessinée et de l'Image à Angoulême. En même temps qu'il réalise des travaux d'adaptation littéraire ou d'illustration pour les magazines de Bayard Presse (Je Bouquine, Grain de Soleil) il publie des planches délirantes dans la revue underground le Psikopat. En s'inspirant du Fantôme, la série d'aventure très 1er degré de l'Américain Lee Falk, il invente son personnage phare, Supermurgeman. Dindon de la farce de ses propres aventures, cet anti-héros tire sa force des bières qu'il ingurgite !
Feuilletoniste moderne, il dissémine des coups de théâtre dans les albums de Supermurgeman (trois chez Dargaud, le premier aux Requins Marteaux) mais aussi dans Le Journal de la Jungle, Salade de Fluits ou Saga Poche. Ses personnages vont parfois d'une série à l'autre. Dans Le Chant du rastaman, l'album de Francis Blatte, gentil illuminé qui se croit en contact avec l'esprit de Bob Marley, on croise Paulette Comète, l'étudiante qui revêt la nuit son costume de Justicière à mi-temps. Précisons que c'est Christian Rossi, dessinateur au trait réaliste (Jim Cutlass, WEST) qui s'amuse à mettre en image les aventures de Paulette.
Aucun style n'effraie celui qui partage l'atelier de la Société National de Bandes Dessinée avec Christophe Blain, Riad Sattouf et Joann Sfar. Mathieu, avec Patrick Pion (Chrome, Coeur de glace) au pinceau, s'est attaqué à l'heroïc fantasy avec Megaron (deux volumes) en jouant, comme d'habitude, avec les codes. Il aime aussi se mettre au service des autres. Depuis Les Secrets de l'univers, il anime une des séries préférées des enfants, Sardine de l'espace, sur scénario d'Emmanuel Guibert. Autre carton chez les jeunes : Akissi (2 volumes, Gallimard), petite soeur d'Aya de Youpougon inventée par Marguerite Abouet.
Pour la collection Shampooing de Lewis Trondheim, Mathieu a ajouté une nouvelle corde à son arc, celui du reportage dessiné. Que ce soit sur la conception du film Gainsbourg une vie héroïque (Feuille de Chou – Journal d'un tournage et Feuille de Chou – Journal d'un après-tournage) ou du journal Libération (Journal d'un Journal), il promène son regard amusé et faussement innocent.
Biographie réalisée par Dargaud
© Mathieu Sapin / Delcourt |
Titre : Journal d'un journal Scénariste : Mathieu Sapin Dessinateur : Mathieu Sapin Editeur : Delcourt Date d'édition : 21 septembre 2011 |
PITCH DE L'EDITEUR Des salles de rédaction à la machine à café, Mathieu Sapin dévoile les coulisses de Libération. Présent pendant le changement de direction, il a circulé en libre accès dans les locaux et a côtoyé l'équipe durant un temps fort de la vie du journal. Carnets en mains, il a croqué les petits et grands moments qui animent le quotidien d'une des plus importantes rédactions de presse écrite en France.
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© Mathieu Sapin / Shampooing |
Titre : Feuille de chou - Journal d'un tourrnage Scénariste : Mathieu Sapin Dessinateur : Mathieu Sapin Editeur : Shampooing Date d'édition : 20 janvier 2010 |
PITCH DE L'EDITEUR Présent sur le tournage de Gainsbourg (Vie héroïque) durant quatre mois, Mathieu Sapin a eu carte blanche pour réaliser ce journal. Il a accompagné l'équipe du film et s'est faufilé partout, là où même une caméra de making of aurait été interdite. Sans langue de bois et avec sa sensibilité, son regard, son talent, il raconte les coulisses de ce film événement.
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© Riad Satouff / Hacette Littératures |
Titre : Retour au collège Scénariste : Riad Sattouf Dessinateur : Riad Sattouf Editeur : Hachette Littératures Date d'édition : Aout 2005 |
PITCH DE L'EDITEUR A 27 ans, Riad Sattouf, traumatisé par ses années de collège, décide de retourner en 3e. Mais pas n'importe où : chez les riches. Le jour de son arrivée, le principal le prévient " Dans mon établissement, vous n'entendrez pas beaucoup de "nique ta mère". " Raté. L'élève Sattouf a tout vu, tout entendu. Et il en est ressorti avec une certitude les adolescents des beaux quartiers sont loin d'être des enfants sages...
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