Un festin de bulles

 

Un festin de bulles


 

 

Prenez garde... Ces trois bandes dessinées risquent fort d’enflammer vos papilles, vous faire saliver, peut-être même baver à grands flots, attiser tous vos sens et, pour finir, vous réduire à l’état de noix de beurre salé fondant langoureusement dans une ardente sauteuse.

Et vous éprouverez alors une furieuse envie de vous mettre aux fourneaux - pour les plus  téméraires - de vous attabler sous une tonnelle, devant un festin savamment arrosé - voire l’un et l’autre pour les plus gourmands.

 

Gastronomie et Bande dessinée…

Quel rapport ? Héhé, et bien pour commencer, les français excellent, que dis-je, triomphent dans les deux domaines.

N’ayons pas peur des mots…

Soyons un poil chauvins :

Les meilleurs fumets ;

Les meilleurs vins

et les meilleures bédés.

Le monde peut s’écrouler, la crise nous ruiner, les candidats s’égosiller, nous savons vivre, voilà tout.

 

Quoi de plus étonnant, donc, alors que la gastronomie atteint des paroxysmes de médiatisation inégalés, que la BD mette un pied en cuisine, dans nos terroirs, dans nos assiettes et dans nos verres.  Et le résultat est plutôt très intéressant. Voyez plutôt.

 

En cuisine avec Alain Passard

 

 

© Christophe Blain / Gallimard

Titre : En cuisine avec Alain Passard

Scénariste : Christophe Blain

Dessinateur : Christophe Blain

Editeur : Gallimard

Date d'édition : 20 mai 2011

 

PITCH DE L'EDITEUR

Alain ne crie jamais. Lorsqu'il reprend un cuisinier, c'est sec et précis. Il a l'air décontracté puis il rentre soudain dans l'action. Il est rapide, tout à son geste. Lorsque le rythme s'accélère, il profite de l'énergie et de la tension. Il est totalement absorbé par sa cuisine, presque en transe.
Pendant plus de deux ans, Christophe Blain a suivi le chef trois étoiles Alain Passard (L'Arpège) du piano de ses cuisines à ses jardins potagers. Avec un sens de l'observation singulier, il nous livre le portrait passionnant d'un chef qui a su redonner aux légumes leurs lettres de noblesse. Un récit truculent et la découverte d'un personnage hors du commun.
 

 

Quand un chef étoilé devient héros d’BD...

 

Imaginez :

 

Christophe Blain, auteur de BD, frétillant de curiosité et d’impatience gourmande, fondant dans les odeurs chaudes et moites de la cuisine d’un grand chef, croquant quotidiennement des portraits et des assiettes, qui s’émerveille de tout … et qu’on envie à chaque instant.

Et… Alain Passard, chef du très étoilé restaurant L’Arpège, qui fait frétiller et fondre légumes et poissons avec une curieuse élégance, pour nous livrer des mets qu’on croquerait bien en papier, qui fait du moindre navet une merveille… et qu’on admire à chaque instant.

 

Le lecteur découvre un chef précis, énergique, presque sec et froid parfois, frénétiquement poétique d’autres fois, bosseur jusqu’à l’épuisement, stakhanoviste du légume.

 

Une obsession quasiment maladive des légumes qu’il cultive dans ses trois potagers, dans la Sarthe, la Manche et l’Eure.

 

« Le chef est presque devenu jardinier. Il est concentré sur le légume plus que jamais. Il a jamais autant inventé ». (Julie, équipe d’Alain Passard)


« Je veux faire du légume un grand cru : que l’on parle de la carotte ou de la betterave comme d’un Chardonnay ou d’un Cabernet-Franc. » (Alain Passard)

 

Une froideur impitoyable avec ces cuisiniers

 

« Tu n’as rien appris en trois ans.  Regarde tes équilibres, ton esthétique. » (Alain Passard)


« Il me disait dans un soupir : « madame tu régresses » Il ne criait pas mais - Fhouh ! C’était dur. Fallait encaisser. «  (Julie, équipe d’Alain Passard)

 

Mais on s’émerveille surtout de l’excentricité d’un chef profondément amoureux de sa cuisine parfois en transe devant une betterave, une noix de beurre qui fond ou une harmonie de couleurs.

 

« Alain contemple la beauté intérieure des betteraves. » (J’ai eu beau contempler ma betterave ce midi, nulle beauté folichonne, sauvage ou romantique, faut avouer que celle-ci venait du Monop du coin…)


« Tout à l’heure, Alain a testé la résonnance de la peau d’un bar qui sortait du four. »

 

Et l’élégance faite bulle : tablier bleu sombre sur chemise immaculée, mains gantées de blanc, un geste croqué qu’on imagine aisément agile et raffiné.

 

La recette du succès :

 

1/ Of course, beaucoup de travail (de 7h du mat’ à 3h du mat’) ; c’est la mode, passons.

2/ Une belle flambée d’innovation : la tarte aux pommes insolemment revisitée (l’occasion de découvrir quelques secrets de sa tarte Bouquet de roses ©)

3/ L’enivrement des sens : on a le parfum, les couleurs et le goût, c’est les Correspondances de Baudelaire en cuisine.

« J’affectionne ce type de cuisson où l’on voit son produit et où l’on entend sa cuisson. » (Alain Passard)

4/ L’élégance, depuis l’embryon d'un plat qui prend forme dans la tête d’Alain Passard, jusque dans le dressage de l'assiette, en passant par « le beau geste » en cuisine.



 

 

© Christophe Blain / Gallimard


 

5/ Le terroir et les saisons, mais là c’est une évidence.

Tel un alchimiste du terroir, Alain Passard va puiser l'intarrissable inspiration de ses recettes dans ses trois potagers.

« Dans la Sarthe, on a un terrain sablonneux. Dans la Manche, on a des alluvions et dans l’Eure on a de l’argile. Une pluviométrie différente. On va voir où le légume va être le plus parfumé, le plus élégant. » (Alain Passard)

 

 

Et Christophe Blain est ici à la fois à la fois personnage de son oeuvre, candidement subjugué par la cuisine d’Alain Passard, et auteur, qui nous transmet  fidèlement son envoûtement.

 

« Pourtant, chaque fois, quelque chose me sidère. Cette fois par exemple : mousse de speck sur velouté de poivron rouge. Je suis fait. A partir de là, j’entre dans un état extatique. Deuxième gros choc au dessert avec un petit biscuit apparemment inoffensif parmi les mignardises. Il n’a pourtant pas ce goût d’essence de légume rare. Il est à l’amande et au rhum. Il se désagrège immédiatement en faisant éclater distinctement le parfum de l’amande et du rhum.  Bon sang ! Si j’étais une gonzesse, je tomberais instantanément amoureuse d’Alain Passard. »

  

Le résultat de son travail (deux ans  dans un coin de la cuisine de L’Arpège passés à goûter et croquer, inlassablement) est surprenant et nous entraîne dans l’univers un peu secret et pourtant bouillonnant d’une cuisine de restaurant étoilé. L’on y découvre qu’elle est un authentique théâtre, où chaque personnage a un rôle précis, rigoureux à tenir dans l’effervescence des fumées, des odeurs, des inventions pétillantes et des commandes qui fusent.

 

« On travaille dans le stress, la chaleur, la tension. Tout est dans la tension retenue. Tout dans la concentration. » (Julie, équipe d’Alain Passard)

 

Les planches de Christophe Blain sont bouillonnantes, faussement désorganisées ; c’est frais, ca pétille, ca frémit. Le dessin est énergique et léger et on s’y croirait presque.

Les couleurs sont surtout réservées aux aliments comme si les hommes et femmes s’effaçaient délibérément derrière leur art pour ne retenir que les sens.

 

Une quinzaine de recettes du grand  chef illustrées en bulles structurent le périple de Christophe Blain.

L’idée d’Alain Passard (qui est à l’origine du projet) : « faire sa cuisine en bande dessinée », créer un vrai livre de cuisine, facile à comprendre et plus accessible qu’un livre traditionnel de recettes.

 

 

Le témoignage du grand chef à découvrir sur You Tube.

 

Quant à mes recettes préférées … à tester urgemment : le Saint-Pierre aux feuilles de laurier « sous la peau » ; le chaud-froid d’œuf au sirop d’érable ; l’ananas à l’huile d’olive, miel et citron.

 

Donc quiconque m’invite à l’Arpège ou me prépare une de ces recettes fera de mes papilles les plus heureuses du monde… A bon entendeur...

 

 

Les ignorants – Récit d’une initiation croisée

 

 

© Etienne Davodeau / Futuropolis

Titre : Les ignorants - Récit d'une initiation croisée

Scénariste : Etienne Davodeau

Dessinateur : Etienne Davodeau

Editeur : Futuropolis

Date d'édition : 6 octobre 2011

 

PITCH DE L'EDITEUR

Par un beau temps d'hiver, deux individus, bonnets sur la tête, sécateur en main, taillent une vigne. L'un a le geste et la parole assurés. L'autre, plus emprunté, regarde le premier, cherche à comprendre « ce qui relie ce type à sa vigne », et s'étonne de « la singulière fusion entre un individu et un morceau de rocher battu par les vents ». 
Le premier est vigneron, le second auteur de bandes dessinées. 
Pendant un an, Étienne Davodeau a goûté aux joies de la taille, du décavaillonnage, de la tonnellerie ou encore s'est interrogé sur la biodynamie.
Richard Leroy, de son côté, a lu des bandes dessinées choisies par Étienne, a rencontré des auteurs, s'est rendu dans des festivals, est allé chez un imprimeur, s'est penché sur la planche à dessin d'Étienne... 
Étienne et Richard échangent leurs savoirs et savoir-faire, mettent en évidence les points que ces pratiques (artistiques et vigneronnes) peuvent avoir en commun ; et ils sont plus nombreux qu'on ne pourrait l'envisager de prime abord...

 

 

Une année durant…

Etienne Davodeau, auteur de BD, s’est initié au métier de vigneron : dans les vignes, il a taillé, brûlé les sarments, pioché, décavaillonné, ébourgeonné, palissé, rogné … et vendangé. Et… dans le chai : goûté, ouillé, mis en bouteille, lavé les barriques, étiqueté, encapsulé, encartonné, expédié aux quatre coins du monde…. Bref, il n’a pas chômé le bonhomme.

 

© Etienne Davodeau / Futuropolis


 

Richard Leroy, vigneron, a, chaque soir, dévoré les chefs d’œuvre contemporains de la BD, visité des ateliers d’auteurs (et quels auteurs ! Gibrart, Marc-Antoine Mathieu, Guibert), rencontré éditeur et imprimeur, traîné ses savates dans des festivals de BD corse et breton.

 

L’un et l’autre, savants et ignorants, ont à la fois été maître et élève.

 

On tord d’abord un peu le cou à la réalité pour s’amuser des analogies trop  évidentes entre les deux métiers :

... Le travail (pfiou…. encore !)…

… l’insupportable servitude aux aléas extérieurs, la qualité des barriques et les éléments pour l’un, le travail de l’imprimeur pour l’autre…

 

« Je repense à notre balade à l’imprimerie. Ce qui était difficile pour toi, c’était ce moment où, pour la première fois, ton travail dépend de celui de quelqu’un d’autre… Je suis confronté à ça quand je dois choisir des barriques pour mon vin… » (Richard Leroy)

 

… « les modes et le pouvoir de la presse »...  qui font et défont le succès d’un vin ou d’une BD. Lorsque l’un affronte la notation Parker et les « buveurs d’étiquette », l’autre brave l’irrationalité parfois impitoyable des chroniqueurs et les ingratitudes de quelques collectionneurs de dédicaces sans foi ni loi.

 

Mais on est surtout frappé par l’évident et incompressible gouffre entre les deux mondes :

Pour Richard Leroy : un univers façonné par les éléments rigoureusement naturels : la roche volcanique du massif armoricain, le vent, le soleil. A cela ne s’ajoute qu’un minimum de soufre et… une once de bouse de vache.

 

« C’est un projet très concret : nous donner à boire un vin qui parle de la terre à notre corps »

 

Tandis que les personnages de l’univers BD sont de plus en plus tissés dans des concepts  faits d’encre, de papier et de culture ou dans l’introspection des auteurs … comme le souligne, à très juste titre, la rencontre avec Marc-Antoine Mathieu.

 

 Si la curiosité de l’un et de l’autre rend le récit extrêmement riche et savoureux, ce diable de vigneron, un peu bourru, n’hésite pas à dire ce qu’il pense devant des planches qu’il n’apprécie pas…

(mais comment ose-t-il… ? ) :

Les récits introspectifs d’un certain Lewis au bec d’oiseau...

Les « élucubrations » d’un certain Moebius.

« C’est pas bon. »

Arglllll….. il doit encore s’en retourner dans sa tombe.

 

 

Patiemment, à la sueur, Etienne Davodeau, s’est fait voyant, et a cherché à comprendre « la singulière fusion entre un individu et un morceau de rocher battu par les vents. »


© Etienne Davodeau / Futuropolis


La lecture de son opiniâtre travail fait de nous des lecteurs bien moins ignorants.

 

Mais, l’initiation croisée des deux « ignorants » est aussi le journal d’une belle vadrouille rythmée par la taille des vignes et les innombrables lectures de bandes dessinées. Et ponctuée ça et là par de savoureux moments de délectation, autour d’une bonne table. Dans une cave parisienne, dans les jardins noirs et blancs de Marc-Antoine Mathieu ou dans les terres hospitalières d’un vigneron voisin.

 

On s’inviterait bien dans ce « genre de moments où la mauvaise foi est la bienvenue, si elle contribue à la vigueur des débats. Peut-être que ça sert aussi à ça le vin et les livres : s’engueuler tranquillement. ».

Sans compter les pauses entre deux séances de taille, deux festivals où l’on contemple, avec l’auteur, le soleil qui émerge au-dessus des vignes au petit matin, ou encore les vignes de Patrimonio…

 

Que du bonheur !

 

Il va de soi que le succès des Ignorants a rendu les bouteilles de Richard Leroy encore un peu plus inaccessibles. Dommage !

 

 

A boire et à manger

 

 

© Guillaume Long / Gallimard

Titre : A boire et à manger

Scénariste : Guillaume Long

Dessinateur : Guillaume Long

Editeur : Gallimard

Date d'édition : 19 janvier 2012

 

PITCH DE L'EDITEUR

Quels sont les ustensiles indispensables à tout cuisinier qui se respecte ? Où trouver l'ail des ours ? Que faire de nos amies les courges ? Où aller manger si vous êtes à Venise ? Et préparer un bon apéro ? Et un risotto aux asperges ? Et les crêpes ? 
Pour Guillaume Long, la cuisine est un art de vivre ludique et les réponses à ces questions s'écrivent en bande dessinée. Il recompose pour le livre les notes, recettes, anecdotes, portraits... imaginés pour son blog gastronomique.
 

 

Les lecteurs assidus du Monde ont sans doute croisé, entre deux nouvelles fraîches ou moins fraîches, le blog culinaire de Guillaume Long.

Pour ceux-là, comme pour ceux qui refusent de s’aventurer sur le site du Monde, A boire et à Manger est une pétillante lecture qui ravira , de nouveau vos papilles.

 

Chacun y trouve son compte :

 

Les grincheux fâchés à vie avec les légumes de la cantine de notre enfance (mais oui, souvenez-vous, aubergines, épinards, choux de Bruxelles, brocolis et autres navets - non je n'ai rien contre les navets) trouveront de belles idées pour se réconcilier avec ces légumes tant redoutés. Si, si, je vous assure.

 

© Guillaume Long / Gallimard


Les malheureux étudiants livrés à la jungle culinaire en quittant la douceur du foyer familial (et surtout papa, maman et la cuisine) pourront apprendre à faire cuire un œuf parfaitement et à ne pas rater la cuisson de leur viande.

 

Les plus curieux pourront dénouer les insondables mystères tels que : "Mais pourquoi trinque-t-on ?"

 

Les séducteurs y trouveront LA recette du gâteau au chocolat qui les fait toutes fondre. Le philtre d’amour cacaoté.

 

Les fétichistes de parties de raclette y découvriront le Décalogue de la raclette... 10 Commandements à respecter à la lettre sous peine de damnation éternelle.

 

Les aventuriers pourront puiser une belle louche d’inspiration pour trouver, en forêt, d’incroyables provisions telles que … l’ail des ours.

 

Les voyageurs pourront y débusquer les délices gastronomiques fraichement venus de Budapest, Lausanne ou Venise.

 

Ceux qui veulent briller devant leurs invités pourront y dénicher des idées pétillantes d’apéro.

 

Les fans de Barbara trouveront une tordante version de L’Aigle Noir…

 

Et surtout… les plus faibles, coupables de scélérate gourmandise,  trouveront un compagnon d’infortune, incapable de résister à la tentation d’un fumet de poulet rôti, aux effluves traîtresses d’un pain au chocolat et aux couleurs savoureuses d’un marché italien…

 

Voilà, ce recueil de saynètes, découpé par saison, est rempli de bonnes idées, de recettes, de bons plans, de conseils, de petites leçons de cuisine. Le tout agrémenté d’une belle dose d’humour, c’est souvent tordant.

 

© Guillaume Long / Gallimard


L’auteur, héros de ces frasques culinaires, se met en scène sans prise de tête, sans pitié et avec une autodérision sympatoche pour nous montrer que l’on peut très très bien manger sans se ruiner, sans se fatiguer (outre-mesure) et en sachant parfois faire fi des mg de CO2 émis pour régaler ses papilles.

 

Bonnes lectures ! Et bon appétit !



13/04/2012
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