Interview Joris Clerté

Interview de Joris Clerté

Auteur de Vivre avec Balzac


 

Joris Clerté est diplômé des Beaux-Arts de Poitiers. Spécialiste de l'animation, il travaille pour plusieurs chaînes de télévision et réalise des films, des clips et des publicités. Il participe notamment à la réalisation de l'émission Karambolage sur Arte.

En 2012, il écrit sa première bande dessinée, Vivre avec Balzac.

  

© Joris Clerté / Warum

Titre : Vivre avec Balzac

Auteur : Joris Clerté

Editeur : Warum

Date d'édition Mars 2012


PITCH DE L'EDITEUR

Qui n’a jamais rêvé de pouvoir s’entretenir avec un illustre écrivain disparu ? C’est justement la chance qu’a notre héros, Paul, heureux possesseur d’un Balzac encadré en chair et en os. Heureux ? Pas si sûr... Le brave Honoré, las du cadre dans lequel il est accroché au mur, prend parfois la liberté d’en sortir. Cela ne va pas toujours de soi : imaginez avoir à partager votre lit avec Balzac sous prétexte que votre conquête du moment est une grande littéraire, ou bien que l’écrivain, susceptible au plus haut point, décide de se venger du peu d’intérêt que vous portez à sa Comédie humaine... 

 

 

Comment en es-tu arrivé à écrire une BD ?

 

C’est le métier que je voulais faire quand j’étais petit. J’avais des prédispositions pour le dessin très tôt [...] et j’en ai fait dans le cadre de mon enfance.

Quand j’allais au collège, j’avais un copain, Jean-Philippe Peyraud, avec qui je faisais des fanzines, on était tous les deux passionnés. Pour le coup c’est devenu son vrai métier.

Moi, je suis rentrée aux Beaux-Arts et on m’a un peu dégouté de la BD : je me suis frotté à l’art contemporain et la BD était présentée comme un paradoxe. On m’a très nettement fait comprendre que la BD et l’art contemporain ne pouvaient pas cohabiter. Du coup, je m’en suis éloigné. Parce qu’on me disait que c’était un art de merde, une connerie.

 

Aux Beaux-Arts, j’étais dans le département « Images composites », c’était une école de réalisateur, d’images qui bougent ; j’y ai découvert le mouvement et le son.  Ce moment là a été un choc pour moi, l’animation est devenue une vocation.

Je dessinais et j’étais confronté aux techniques nouvelles d’incrustation d’images, à la lumière, au son, aux collages, etc. : cela m’a ouvert le champ des possibles et j’ai mis de côté la grammaire de la BD. Je l’ai conservée pour faire des story bords, mais ça s’arrêtait là. Ma perspective était vraiment de faire de l’image qui bouge. Et puis bon an mal an, cela fait vingt ans que je travaille et j’en suis très content.

 

Ensuite, je me suis replongé dans Balzac. [...] Un peu comme tout le monde, j’avais mis Balzac de côté au collège [...]. Je n’avais lu qu’un seul roman, Les Paysans, parce qu’on m’avait demandé de le lire. [...] En  1999, j’étais en Afrique, dans une maison où il y avait une bibiothèque et un Balzac qui traînait, La cousine Bette.  Je m’y suis remis, j’ai adoré et j’ai commencé à tout lire.

Et je suis devenu balzacien.

 

Je voulais mettre en scène une rencontre avec Balzac. Et, c’était  beaucoup plus simple pour moi de l’appréhender sous la forme d’une BD plutôt que d’en faire un film. Parce que cela me permettait de faire des micro-saynètes et parce que mettre en scène son quotidien a été extrêmement jouissif. Tu enchaînes les strips comme tu enchaines les jours. Et cela permet d’autres choses que ne permettent pas les films : les redondances, les running gags. Et surtout le quotidien : j’aurais tellement aimé me frotter à Balzac au jour le jour.

 

 

Qu’est ce que ça veut dire pour toi « être balzacien » ?

 

Cela veut dire être spécialiste de Balzac, certes. Mais cela signifie aussi appréhender le monde dans lequel tu vis à travers La Comédie Humaine. Je le mets en regard, en miroir, avec le début du XIXème : les fondements et les structures dans lesquels on vit actuellement sont issus de tout ce qui a été conçu au niveau sociétal à partir du début du XIXème siècle [...] on est tous XIXèmistes sans le savoir [...].

Que faire de sa propre personne quand on vient à Paris et qu’on vient fraichement de province ? Dans Balzac, énormément de personnages viennent de province et font le voyage ; monter à Paris est un sport national. Pour moi c’était pareil, je viens de Poitiers.

 

Tout cela m’a fait beaucoup réfléchir. Je voulais travailler sur Balzac. Le problème c’est qu’avec Balzac, le champ est tellement vaste qu’il faut trouver un angle d’attaque. [...]

 

 

As-tu beaucoup travaillé sur Balzac, l’homme ?

 

Oui. J’ai beaucoup lu sur Balzac, des choses vraiment hilarantes ; par exemple un ouvrage écrit par Léon Gozlan, un contemporain de l’auteur, Balzac en pantoufles : c’est tordant. Et ça donne la mesure du personnage : un mélange de puérilité, de générosité… Et un homme complètement ravagé par le travail : il parle d’une malédiction et c’est vraiment cela : il avait un rythme de travail complètement délirant… 18h par jour… il se levait à minuit, il bossait comme un dingue jusqu’à 6h du matin, il faisait une micro sieste, il reprenait à 8h et il se remettait au lit à 22h. Il est mort à 51 ans ce n’est pas pour rien. Et il y avait ce côté « éponge » : pour écrire La Comédie Humaine, il ne fallait pas que travailler et écrire, il fallait également vivre et observer.

[…]

Flaubert en prend pour son grade dans la BD et c’est à cause de cela ; moi je les oppose de cette façon-là : l’un est hyper vivant, l’autre est dépressif. Et cela n’enlève rien à l’œuvre de Flaubert. (…)

 

© Joris Clerté / Warum

 

 

As-tu un cadre de Balzac chez toi ?

 

Oui, je l’ai depuis longtemps. […] Une fois, je me suis réveillé la nuit, j’ai cru qu’il était là…

A cause d’un drap qui séchait à la maison… Je me suis réveillé dans le gaz, j’ai vu ce drap qui séchait, je l’avais oublié. J’ai cru que Balzac était là. Semblable à la statue de Balzac emmitouflé réalisée par Rodin qu’on peut voir boulevard Raspail à Paris. J’ai eu les jetons.

Ce serait un plaisir purement individuel de le voir en train de lire un journal et en train de commenter l’actualité. Il me dirait sans doute que rien n’a vraiment changé. […] Ce serait un plaisir hyper personnel de l’avoir pour soi comme un joujou.

 

On ne va pas se mentir, le bonhomme qui est dans le cadre, c’est un peu Balzac et c’est un peu moi.

J’y ai mis de moi la grosse part d’enfance : être gamin, être sale gosse, les piques de colère, la mauvaise foi, l’impertinence.

Ce qui est marrant c’est que dans la BD, Balzac est l’enfant, Paul est le père.  Alors que, précisément, dans la vie, c’est exactement le contraire, c’est moi l’enfant et Balzac le père. Même si je n’aurais pas du tout aimé avoir Balzac comme père. C’était un vrai panier percé, il était endetté jusqu'au cou ; c’est sans doute ce qui le permettait d’avancer et de travailler. Il était constamment en état d’échec, constamment obligé de mettre la machine en route.

 

© Joris Clerté / Warum

 

 

As-tu encore envie de travailler sur Balzac ?

 

Oui, je n’ai pas renoncé à faire un film. […] Le problème c’est que j’ai envie de dire tellement de choses sur Balzac que ca devient pléthorique. Il faut choisir un angle de vue.

C’est la vision politique qui m’intéresse maintenant, l’idée que le monde dans lequel on vit aujourd’hui découle complètement du siècle de Balzac.

 

[…] Balzac s’inscrit dans une perspective extrêmement rigoureuse, il n’a pas de vision révolutionnaire de ce que devrait être le monde mais de ce qu’il a devant lui, pourquoi c’est comme cela. Ce que j’adore dans Balzac, c’est la façon dont il parvient à te décrire les liens entre la société, le code civil, le code pénal et les mœurs qui naviguent là-dedans. La perversion qu’on peut y trouver. […] Et cela reste encore extrêmement vrai. Tu lis La cousine Bette et tu vois l’affaire DSK, tu te marres…[…]

 

La BD est assez mainstream, tu n’es pas obligé de connaître l’œuvre de Balzac pour appréhender la lecture. Bien sûr, c’est plus rigolo quand tu le connais. C’est bourré de lieux communs sur Balzac et son œuvre. […] Mais la BD ne parle pas de politique ou de la structure de la société…

Ce qui m’a plu dans la BD c’est de ramener Balzac à un mec drôle dans un registre contemporain et avoir une discussion avec lui, voilà, c’est ce dont j’ai toujours rêvé.

 

Comment as-tu travaillé ?

 

J’ai dessiné sur des moleskine, sur un papier qui est assez à grain avec une plume et un encrier, comme Balzac, en fait [rires] et j’avais vraiment adopté un rythme de travail laborieux. Le processus était vraiment rigolo.

J’ai commencé sur mon blog. Puis la suite est venue en tirant la pelote de laine. C’était un plaisir quotidien, je faisais une planche par jour.

 

Ce qui m’intéressait énormément dans l’écriture de Vivre avec Balzac, c’est l’exercice : un cadre, un autre cadre dans ce cadre et là-dedans tu te dis « qu’est ce que je peux faire ? je ne dois pas en bouger », c’est ça qui est bon. […] Pour moi c’est du bonheur de trouver toutes ces astuces : Balzac qui descend de son cadre, Balzac de l’autre côté du miroir, etc.

Je travaille de la même façon dans l’animation : il me faut un cadre et dans ce cadre une contrainte et là… la balle peut rebondir.

 

Avec Warum, l’éditeur, c’est allé extrêmement vite. J’ai édité trente pages sur internet et j’ai dit à mon ami Jean-Philippe Peyraud  que ce serait bien d’en faire un livre. Je n’étais pas du tout impliqué dans le réseau de l’édition et il m’a parlé de Warum. J’ai envoyé un mail et j’ai aussitôt obtenu une réponse. C’était rapide. Mais ma vie n’est que ça : j’ai du bol dans tous les sens.

 

Tu as changé d’avis sur la BD ?

 

Oui j’ai changé d’avis ; mais ça fait un moment. Tout simplement parce que les auteurs et les éditeurs ont mis un bon coup de pied dans la fourmillère. Ca beaucoup changé.

Aujourd’hui, je consomme beaucoup de BD. J’adore Bastien Vivès, son style, la sensualité et la grâce de ses dessins.

 

 

© Joris Clerté / Warum

 

Propos recueillis par Ma. Isabel en mai 2012.

Un grand merci à Joris !



24/05/2012
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