Interview - Edmond Baudoin

 

 

Interview d'Edmond Baudoin

Co-auteur de Viva la vida - Los sueños de Cd. Juarez


 

 

© Edmond Baudoin / Jean-Marc Troub's / L'Association

Titre : Viva la vida Los sueños de Ciudad Juarez

Scénariste : Edmond Baudoin & Jean-Marc Troub's

Dessinateur : Edmond Baudoin & Jean-Marc Troub's

Editeur : L'Association

Date d'édition : 24 aout 2011

 

PITCH DE L'EDITEUR

Ciudad Juarez, située au nord de l’Etat de Chihuahua au Mexique, connaît depuis deux décennies une criminalité qui l’a rendue tristement célèbre. Une longue série de meurtres et de disparitions de femmes a coloré la ville de manière à la faire classer comme une des plus dangereuses au monde. La façon la plus honnête d’aborder Juarez, pour Baudoin et Troubs, tous deux très familiers du carnet de voyage, était de partir d’une base simple: «  Faire le portrait de ceux qui voudront bien, et leur demander : “Quel est votre rêve ?”. Dire la vie dans cette ville où on meurt. » Le récit de ce périple à travers la violence évoque le pire comme le meilleur des relations humaines, à travers une collaboration inédite où les styles de Baudoin et de Troubs se complètent impeccablement.

 


Un peu naïvement, lorsque mes yeux ont parcouru les premières pages de Viva la Vida, mon premier réflexe a été de remplir de couleurs imaginaires et chatoyantes toutes ces rues, ces cantinas, ces visages, cette rose, ce ciel… Pourquoi le noir et blanc pour ce récit qui, en quelque sorte, extrait la beauté des maux de Ciudad Juarez ? 

 

Je faisais les portraits en noir et blanc, il aurait été difficile d’emmener dans la rue des couleurs, nous ne savions jamais si  à moment donné il n’allait pas falloir partir et même très vite. Je photographiais le portrait avant de le donner pour pouvoir le recopier  le soir. Il était important que je le recopie très vite, j’avais encore en mémoire ce que cette personne m’avait donné avec son regard, que ce ne soit pas un «recopiage appliqué », qu’il y ait la vie que j’avais vue devant moi quelques heures avant . Cet ensemble imposait le noir et blanc.

 

 

Comment ont réagi les personnes rencontrées à Ciudad Juarez lorsque vous leur demandiez de vous raconter leurs rêves ?

 

Les personnes rencontrées étaient très touchés, il n’y a pas de touristes à Ciudad Juarez, les habitants de cette ville pensaient tous que nous étions des journalistes. Et les journalistes étrangers ne sont pas très bien vus, ils viennent souvent là pour le sensationnel, le sang. Quand ils apprenaient ce que nous voulions, nous en avons vu certains pleurer.

 

 

Quelle est la place du rêve dans leur vie ?

 

Vous avez remarqué que la plupart de leurs rêves ressemblent beaucoup aux rêves de « tout le monde » sauf plus souvent la paix. C’est ainsi, les êtres humains ont des rêves simples : Pouvoir travailler, espérer que leurs enfants soient mieux qu’eux, qu’ils travaillent bien à l’école… Les rêves de l’humanité.

 

 

Et dans la vôtre ?

 

Je ne vis que dans le rêve, mais je travaille constamment à essayer de mettre mes rêves dans la réalité.

 

 

Vous abordez à travers vos portraits l’ombre du pessimisme et du sentiment de fatalité qui s’étend sur la ville. La population a perdu confiance envers l’action politique, les institutions apparaissent vides de sens et la lutte contre les narcotrafiquants n’a jamais été aussi vaine. Que reste-t-il à Ciudad Juarez pour tisser quelques lambeaux d’espoir : la fête ? la solidarité ? la religion ? l’art ? l’humour ?

 

Solidarité et amour. La religion est partout, je ne sais pas si elle les aide, de plus en plus ils vont vers la « vierge de la mort », ce n’est pas terrible, l’art c’est pour plus tard quand ils seront mieux disent-ils.

 

 

Quel est le rêve qui vous a le plus marqué lors de vos rencontres ? Celui que vous auriez aimé accompagner ou soutenir ? Un visage ou un regard qui vous poursuit encore aujourd’hui ?

 

Cette enfant indienne de onze ans qui m’a dit : devenir vieille. Je ne sais pas si elle voulait être vieille aujourd’hui, ou vivre tout le temps de sa vie pour devenir vieille.

 

 

Quelle était la motivation de ce projet ?

 

Le livre de Roberto Bolano : 2666. J’ai voulu allé à Ciudad Juarez pour parler des femmes, du travail des femmes, des assassinats de femmes, du machisme. Mais entre la mise en place de mon projet et la possibilité du voyage il s’est passé deux ans, et dans ces deux ans Le président Calderon a déclaré la guerre aux narcotrafiquants, il meurt toujours autant de femmes, mais dans une guerre on ne compte plus.

 

 

Que vous ont apportés ces échanges ?

 

De la vie, de la force pour continuer à vivre, de la joie devant la dignité de toutes ces personnes, la joie c’est de la vie.

 

 

Et vous, que pensez-vous avoir transmis aux personnes croisées ?

 

Même chose : de la vie. Je suis retourné à Ciudad Juarez, le livre a été traduit en espagnol mexicain, je suis allé le signer là-bas. Les gens que j’avais vus et que j’ai revus me l’ont dit. 

 

 

J'imagine que vous avez traversé des moments difficiles pendant ce voyage. Quels ont été vos moments de faiblesse lors de vos rencontres ?

 

Cette dame belle dans un jardin public, elle allait passer le lendemain aux Etats-Unis pour sauver ses enfants de la faim. Elle avait jeté tous ses papiers, elle allait traverser la frontière, seule, les mains vides.

 

"C'est une des filles d'Alberto. Elle a seiz ans. C'est une épreuve de dessiner un enfant. Il n'y a aucune retenue chez eux. Ils ont dans le regard encore du questionnement des nouveaux-nés. Ils cherchent quelque chose dans mes yeux d'homme vieux. Et je ne suis pas sûr, jamais, d'être à la hauteur de ce quelque chose. Alors, mon pinceau pèse des tonnes."

 

Réaliser une BD à quatre mains ne doit pas être évident et demande autant de travail, je suppose, que d’accorder deux musiciens. Comment s’est déroulée la collaboration avec Jean-Marc Troub’s ?

 

Je n’avais jamais vécu deux mois avec un homme, lui non plus. On nous prenait pour des homosexuels, c’était rigolo, on travaillait beaucoup, beaucoup, on n’a même pas eu le temps de regarder les filles, ce qui est pour nous exceptionnel.

 

 

Du point de vue du lecteur, Jean-Marc Troub’s semble être plus attaché à l’ambiance, aux évènements et vous aux visages, aux regards des personnes rencontrées. Etait-ce un choix artistique conscient ou le résultat de deux personnalités différentes qui voyageaient et s’exprimaient ?

 

Oui, c’est un choix il y a longtemps que je fais des portrait, j’ai même des fois gagné une chambre d’hôtel avec des portraits. Jean Marc est moins à l’aise avec ça. Lui dessinait  l’ambiance, oui, c’était notre manière de travailler

 

 

Quels souvenirs gardez-vous de ce voyage ?

 

Un livre. Et comme vous, des couleurs, de la musiques, des larmes, des rires.

 

 

Pourquoi une chèvre ? Pourquoi une tortue ?

 

HI HI Jean Marc vit isolé à la campagne entouré de chats, de poissons et de tortues.

Moi j’aime les animaux rustiques, chèvres, ânes, corbeaux.

                                  

 

Vos projets ? De nouvelles frontières, de nouveaux murs ? 

 

La Palestine ? On me l’a proposé. Peut-être j’irai. Mais pour l’instant j’ai du travail jusqu’en 2013 dont un livre sur Dali pour le Centre Pompidou.

 

 

Propos receuillis en Décembre 2011

 

Merci à Edmond !

 



11/12/2011
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